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La nuit les langues se délient
Daren Van Baelsar
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Mer 12 Jan - 0:56

La nuit les langues se délient


Lyhn et Daren


Soirée | Quartier Amaranthis | An 82, 2eme mois d'automne, jour 6


La nuit les langues se délient  Pub_by10


Aussitôt le vent avait cessé de s'infiltrer dans les venelles et avenues de la ville qu'un mince linceul de brouillard s'était décidé à s'installer en ce début de soirée, recouvrant le sol pavé du quartier Amaranthis tout en épousant les aspérités des pierres dépolies et déformées par le martellement incessant de bottes et sabots tout au long du jour et de la nuit. L'humidité ambiante faisait resserrer les pans de veste aux audacieux et donnaient raison aux plus prévoyants. Le soleil tutoyait encore quelques toitures hautes tandis que les lanternes, chandeliers et autres flammes s'illuminaient dans les auberges, tavernes et établissements nocturnes.

Ce quartier s'en retrouvait d'ailleurs très fourni, et rapidement une transition de population s'opéra dans les rues pour laisser apparaître des groupes en quête d'amusement ainsi que des couples bras-dessus bras-dessous. A croire que les Amaranthis étaient en constante hésitation entre le travail acharné et la quête d'amusement. En vérité, ils s'octroyaient volontiers le droit de ne rien se refuser, un trait qui parfois leur portait préjudice d'ailleurs. Élégant et extravagant, un peuple dont le reflet se dessine aisément dans l'architecture ingénieuse du quartier. Enfin ça, c'est ce que l'on pourrait se dire si l'on ne creusait pas un tout petit peu sous ce que nous dictaient les apparences.


La nuit les langues se délient  W69b10


- Et bord...de M...

Habité à censurer son propre langage devant providence mais aussi et surtout devant sa fille, Daren retint son juron dans sa barbe lorsque sa botte s'enfonça à moitié dans une flaque relativement profonde, logée dans un trou occupé initialement par un pavé et qu'il n'avait pas remarqué à cause de ce foutu brouillard. Il continua de grommeler en progressant à travers de la ceinture extérieure du quartier. Le long des remparts, le quartier Amaranthis montrait une toute autre facette que l'image de pédants érudits toujours prompt à prendre de haut leur interlocuteur et toujours prêt à leur vendre monts et merveilles du moment qu'ils faisaient un profit considérable.

A vrai dire...Les gens semblaient être pareil ici, mais la misère guettaient bien plus au coin des rues, imagés par des yeux luisant à la lueur de faiblard feu de fortune dans une impasse ou le long des devantures. Les habitations n'étaient guère impressionnantes en comparaison à l'avenue deux blocs plus loin. Raffistolées, sales et beaucoup moins affinées, elles semblaient évoluer dans l'ombre de la grandeur que les Amaranthis s'octroyaient volontiers. Mais après tout, pour qu'il y ait des riches, il faut qu'il y ait des pauvres. Tout comme Providence tire une part de sa noblesse et son absolue grandeur dans son combat contre Pernicie.

La comparaison entre Ascanien et Amaranthis lui tira un frisson suffisant pour le sortir de ses absurdes rêveries vouées à l'impasse. Les yeux furetant à droite à gauche régulièrement, Daren surveillait qu'aucun voleur à la tire ne se soit décidé à le détrousser d'un ou deux sous. Tout en respirant, il poussa un nouveau grognement discret. Déjà qu'il n'aimait pas cet endroit, s'y rendre à cette heure du soir l'enchantait alors encore moins. Mais lorsque les informations glanées le conduisait vers une piste, il ne rechignait jamais, quelle qu'en soit la destination. Fort heureusement, son attitude et sa carrure décourageaient déjà la grande majorité des malandrins, préférant détrousser des cibles plus faciles. D'un geste nonchalant, il replaça son chapeau correctement sur sa tête et continua d'avancer.

Finalement, il s'arrêta devant une échoppe aux airs délabrés qui n'inspirait guère confiance de prime abord. "La Belle-de-Nuit", tel était le nom du lieu, péniblement écrit sur une pancarte dont les accroches avaient déjà dû être refaites une bonne dizaine de fois. Le titre de l'établissement était au moins aussi évocateur que la faible lumière provenant des étages dont les rideaux tirés occultaient en grande partie la vue. Il resta de longues secondes à contempler cette pauvre pancarte comme si elle allait lui dire tout à coup de changer de direction.

- Belle de nuit...A partir du moment ou cette devanture n'est plus visible, peut-être...Dit-il à lui-même.

Ce n'était pas vraiment drôle, mais il esquissa un rictus sans joie. Les établissements de plaisir le mettaient toujours mal à l'aise; Du moins...tant qu'il n'avait pas bu un verre ou bien qu'il n'avait pas encore réussi à passer outre son sentiment de culpabilité pour la soirée. Généralement après, ça allait beaucoup mieux, jusqu'au lendemain matin tout du moins.

Récemment en revanche, il s’était promit de refreiner ses excès et de se tenir loin de ce genre d’endroit. Cette décision, il l'avait prise avec l'espoir de sauver les meubles dans la houleuse situation qu'était devenue sa vie de famille, notamment lorsque sa femme lui reprochait ses absences prolongées. Absent de tout les bordels, il avait jusque ici tenu, se contentant de quelques verres ça-et-là dans des tavernes dépourvues d'incitation à la débauche. Cette résolution semblait désormais prête à voler en éclat, mais pour une fois, à cause de sont travail et de la piste qui l'avait mené ici. Après tout, peut-être serait-il capable de s'en tenir à mener à bien sa mission.

Bien qu'il ait fréquenté une ou deux fois des établissements trop cher pour son solde, ce n'était pas la première fois - ni la dernière, assurément- que Daren se rendait à cet endroit. Il n'aurait d'ailleurs su dire le nombre de fois où il était rentré chez lui bien trop tard dans la matinée du lendemain après avoir passé la nuit ici. Comme souvent dans ces moment, une pensée simple lui traversa l'esprit, une pensée qui généralement endiguait toute forme de volonté face à la tentation.

"Une fois de plus ou de moins...Qu'est ce que ça change.", Se dit-il avait de pousser la porte sans ménagement.

Il n'avait pas eu froid dehors, mais le contraste de température le saisit si vite qu'il eut envie de se défaire de sa cape sans attendre. Chose qu'il ne fit pas cependant. L'odeur de tabac était omniprésente, couplée à un savant mélange de renfermé, de parfum et d'alcool. Le cadre idyllique pour se prendre une cuite tout en perdant tout son argent aux cartes pendant qu'une demoiselle nous fait les yeux doux. Il envisagea d'ailleurs sérieusement ce scénario, peut-être pour plus tard.

Inutile de s’attarder sur le palier, car rien n'était pire que de s'attirer l'attention de n'importe qui en faisant le piquet et en dévisageant toute la salle. Ainsi, sans même observer quoi que ce soit, il se trouva une table avec seulement deux chaises, dans un coin de la pièce. Il s'installa dans un craquement lourd d'une chaise dont la fiabilité était contestable. Le mur juste derrière lui était bardé de tentures colorées qui donnaient un étrange cachet au lieu, bien qu'elles soient là pour cacher des murs à nu dont l'entretien n'était pas la priorité. C'est à ce moment seulement qu'il s'autorisa un bref tour d'horizon, analysant la pièce comme s'il découvrait le lieu pour la première fois.

L'odeur et la fumée se justifiaient assez rapidement par le fait qu'énormément de personnes fumaient ici. Cette simple observation fit qu'il sortit lui-même une pipe en bois sombre finement ouvragée qu'il bourra sans même regarder ce qu'il faisait. Sa fille lui dirait encore qu'il fumait trop si elle était là, mais elle n'aurait de toute manière rien à faire dans un tel endroit. Il se pencha en arrière après ses premières bouffées, intrigué d’abord par une table de jeu autour de laquelle il était possible de hiérarchiser chaque individu simplement à leur accoutrement et leur attitude. Le chef de ce groupuscule de voyou de bas étage était évidemment celui qui avait une donzelle sur les genoux, et une autre debout à ses côtés, subissant en souriant les mains baladeuses de son client.

Tout le monde n'avait pas les moyens de jouer, si bien que la salle semblait naturellement se spatialiser. L'un semblait discuter avec une femme promptes à leur proposer de monter s'il payait encore un peu plus. D'autres étaient simplement en train de se saouler, seuls et à moitié endormi sur leur table. D'autre encore buvaient simplement autour d'une table à grand détour d'éclat de voix. Les tentures multiples accrochées aux murs jouaient un rôle bien plus important qu'il n'y paraissait dans l'agencement de la salle, créant naturellement des espaces avec une utilité précise, limitant ainsi l'impression de se trouver dans un lieu insalubre. Il se désintéressa de tout ce tumulte pour se concentrer sur ce qui l'avait réellement captivé dès son entrée ici, un détail inhabituel qu'il n'avait pas encore prit le temps d'analyser.

Sur le bar large et solidement ancré au sol -contrairement au reste du mobilier-, une jeune femme à la grâce féline se déhanchait devant les yeux rêveurs d'homme en mal d'amour, attisant les passions au rythme de ses hanches et captant leur regard en leur offrant un contact visuel aussi éphémère que torride . Enivrante et délicieuse, Daren n'eut plus l'envie de tourner le regard non plus, profitant du spectacle que lui offrait cette demoiselle aux long cheveux en cascade et au corps d'une élégance plus que remarquable. Sa simple beauté suffisait à captiver l'Ascanien, mais il y avait également quelque chose qui l'interpellait. Cette femme était nouvelle ici.

Bien qu'il soit habitué des lieux, Daren ne comptait pas que sur ça pour retenir un visage familier. Jouissant d'une mémoire exceptionnelle, il ne se trompait presque jamais lorsqu'il prétendait reconnaitre quelqu'un ou non. Sûr de lui, il paraissait impossible qu'il se trompe, au point qu'il aurait été prêt à parier tout son solde qu'elle n'était pas là depuis si longtemps, ou du moins qu'elle n'était pas encore en ces murs lors de son dernier passage.

Les yeux rivés sur elle, il réalisa qu'un instant, toute la pièce semblait avoir été absorbé par la danse qu'elle leur offrait. Des images se dessinèrent dans sa tête, rythmées sur les ondulation du corps de la belle.

- Que Providence me guide...

Aussi pieux qu'il était, cette phrase qu'il prononçait de temps à autre était presque exclusivement sarcastique.

L'envie de boire un verre se fit plus forte alors qu'il tira sur sa pipe de longues bouffées. Une règle personnelle cependant le retint un instant. "Jamais pendant le service", un crédo qu'il s'était toujours forcé à respecter...Enfin, jusqu'à il y a quatre ou cinq ans environ. Aujourd'hui, si on lui demandait où étaient passé ses principes et autres disciplines de fer qu'il s'imposait, il répondait simplement qu'il était bien plus facile de se fondre dans la masse lorsque l'on consommait de l'alcool plutôt que de commander un verre d'eau ou une infusion dans une taverne. De la répartie à la mauvaise foi, il n'y avait qu'un pas.

Le service étant quasiment exclusivement au bar, il espéra que sa tête n'ait pas été oublié depuis son dernier passage. Avec un peu de chance, il n'aurait même pas à se lever pour qu'on lui propose de commander à boire, chose qui n'arrivait pas souvent, à moins d'avoir déjà dépensé une certaine somme dans l'établissement. En attendant que Providence mette sur son chemin une charmante demoiselle prompte à le servir, il resta observateur de cette jeune femme, dévoilant à demi son visage sous son chapeau qu'il ne quitta pas. Une nouvelle fois, il porta la pipe à sa bouche et tira de longue bouffées en s'installant plus confortablement sur sa chaise.

Malgré les apparences, il n'omit pas ce qui l'avait poussé à venir ici, car même s'il faisait des écarts dans la vie, il n'oubliait jamais ce qu'impliquait son travail.
Lyhn
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Métier : Fille de joie
Mer 19 Jan - 1:10
Si Providence guidait vraiment les Ascaniens dans ce genre d’endroit, peut-être était-ce pour y ramasser les anges aux ailes brisés qui y étaient tombés.

Comme tous les soirs où l’établissement avait la chance d’accueillir quelques musiciens, les consommateurs s’agglutinaient devant le bar, là où ils ne manquaient pas une miette du spectacle qui leur était offert. Il y a encore quelques mois, ce genre de divertissement n’avait pas lieu ici – les filles étaient bien généreuses, mais elles ne dansaient jamais de cette façon – tout avait changé depuis que Lyhn était arrivée. C’était quelque chose qu’elle avait négocié dans son contrat presque immédiatement, comme pour rendre supportable l’idée de se considérer comme une résidente officielle. D’abord dubitative, la vieille maquerelle se frottait aujourd’hui les mains d’avoir accepté cette nouvelle recrue, son chiffre d’affaires doublait facilement les soirs où Lyhn dansait sur ce comptoir.

Pourtant elle n’avait pas fait l’unanimité la première fois, ni les suivantes d’ailleurs. Son talent n’avait jamais été contesté mais on lui reprocha de manquer de sensualité, de ne pas suffisamment exciter l’imaginaire des clients. Ainsi, elle se retrouva comme souvent à pervertir son innocence à dessein, à salir ce qu’il y avait d’encore trop pur chez elle. On ne tuait pourtant pas si facilement quelque chose d’aussi ancré en soi, elle se plaisait ainsi à distiller de l’art dans le glauque, de la beauté dans la laideur, de l’émerveillement dans le lubrique. Elle était désirable lorsqu’elle se cambrait outrageusement sur ce bar, lorsqu’elle dévoilait le galbe de ses cuisses dans ses mouvements fluides et aériens, lorsque sa robe translucide et rouge virevoltait autour d’elle comme si elle était habillée de flammes. Elle était désirable, mais elle n’était pas que ça.

Ce soir-là, elle ne manquait plus du tout de sensualité, elle ne manquait de rien, si bien que même l’absence de musique ne l’aurait pas gênée. Elle jetait parfois des regards sur les visages à ses pieds, autant de visage qu’elle oublierait dès le lendemain. Il n’y avait pas de place pour autre chose que la danse dans son esprit, et elle se mouvait comme quelqu’un qui savait parfaitement de quoi son corps était capable. Elle était souple comme un serpent, mais là s’arrêtait la comparaison : personne ne rêvait jamais de finir avec un serpent dans son lit. Les premiers soirs, quelques mains s’étaient égarées sur elle pendant sa danse, elle avait réussi à obtenir qu’il soit interdit de la toucher tout le temps qu’elle passerait sur le bar. Quelques minutes, quelques heures de paix pendant lesquels son corps était un temple inviolable.

En contrepartie, elle dédommageait elle-même tous ceux dont le verre se retrouverait par terre après un jeu de jambe hasardeux, soit en ôtant l’un de ses vêtements, soit en lui offrant un baiser brûlant sur les lèvres. Évidemment, elle n’avait jamais renversé un seul verre depuis qu’elle était ici, et ce même si certains s’amusaient à les mettre sur son chemin pour espérer obtenir son éphémère attention. Peut-être que ce soir serait différent ? Ses ultimes pas de danse firent dangereusement taguer un verre qu’elle n’avait pas vu sur le bord, un silence presque religieux se fit l’espace d’un instant, avant qu’elle ne rattrape le verre d’un gracieux geste de la cheville. Et vinrent les applaudissements, les sifflements à l’autre bout de la salle ; elle s’inclina, remerciant son public comme le ferait une grande artiste après sa représentation. Il était facile dans ces moments d’imaginer qu’elle était plus artiste que fille de joie. Des moments très éphémères en général.

L’homme à l’extrémité du bar dont le verre avait failli s’écraser au sol lui tendit la main pour l’aider à descendre de son perchoir, ce qu’elle accepta avec un sourire. Alors qu’elle s’apprêtait à le remercier, il leva son jupon avant de lui asséner une claque retentissante sur les fesses et le sourire de Lyhn fana presque aussitôt sur ses lèvres ; c’était un rappel de ce qu’elle était ici – rien – un brusque retour à la réalité. Toute émotion déserta son visage tandis qu’on la saisissait doucement par la main pour l’écarter du bar et l’entraîner près des escaliers qui menaient à l’étage. Annette, une autre résidente de La Belle de Nuit lui tendait son propre verre d’alcool.

- Un peu de courage liquide pour la nuit qui nous attend, ma belle ?

Lyhn avisa le verre et fut tenter de l’engloutir en entier, ce qui n’était pas dans ses habitudes. Vu les joues rougies de son amie, celle-ci devait en être à son troisième ; tout le monde savait qu’Annette avait un petit problème de boisson mais personne ne lui disait jamais rien à ce sujet. Lyhn ne pouvait pas vraiment l’en blâmer, c’était presque l’une des seules façons de tenir le coup, mais elle-même ne consommait presque jamais rien, sauf lorsque c’était offert par la clientèle. Ici les résidentes ne buvaient pas l’œil, loin de là, chaque verre consommé sur la soirée était déduit de leur paie, et elle ne pouvait se permettre de voir celle-ci diminuer. Elle finit par tremper simplement ses lèvres dans le liquide avant de tendre à nouveau le verre à son amie.

- Laisse-moi voir… Lui, là-bas, il a pas l’air méchant, et surtout il a pas l’air de pouvoir tenir longtemps, si tu vois ce que je veux dire. Quand c’est vite expédié, c’est pas plus mal.

Annette l’avait prise sous son aile dès ses débuts ici, elle la mettait toujours en garde contre les clients agressifs ou violents et tentait souvent de l’orienter vers des hommes qui ne posaient jamais trop de problème.

- J’ai l’impression qu’il lui manque des dents…
- Et alors ? C’est toi qui suces, c’est pas lui.

Lyhn se garda bien de tout commentaire et la blonde à ses côtés continua son examen minutieux de la pièce, avalant de temps à autre quelques gorgées d’hydromel.

- Bah ça par exemple ! Si je m’attendais à ça !
- Quoi ? Qu’est-ce qu’il y a ?

Elle suivit son regard, celui-ci semblait s’être figé à une table plongée dans la pénombre, à l’autre bout de la pièce. Lyhn plissa les yeux mais au milieu de toute cette fumée elle ne distingua rien d’autre qu’une silhouette à chapeau. Elle n’eut pas de réponse à sa question, d’ailleurs celle-ci n’eut bientôt plus aucune importance : le cri de Fiona, l’une des filles de la maison, leur parvint aux oreilles alors qu’elle descendait les escaliers quatre à quatre. Lorsqu’elle arriva dans la lumière des torches, Lyhn aperçut immédiatement sa joue tuméfiée.

- Trop c’est trop !

Lyhn et Annette vinrent naturellement se placer à ses côtés dans une attitude protectrice, surtout quand les pas lourds d’un client se firent entendre dans les escaliers. Plus grand que la moyenne, le crâne chauve et le visage aussi rouge que le vin qu’il avait ingurgité toute la soirée, l’homme leva son poing menaçant dans leur direction, chacune eut un mouvement de recul presque involontaire.

- Reviens là ! On n’en a pas fini, j’ai payé je te signale ! tempêta t-il une fois arrivé à leur hauteur.
- C’est lui qui t’a fait ça ? demanda Lyhn en désignant sa joue. Fiona hocha la tête, les larmes au bord des yeux.
- Qu’est-ce qu’il s’est passé ? renchérit Annette.
- Il est sale, il… pue, je peux pas, je peux pas, je ne peux juste pas… !
- Si tu crois que je vais me laisser insulter par une pute !

Annette, peut-être la plus courageuse mais surtout la plus éméchée des trois, se fendit d’une expression à la fois scandalisée et belliqueuse.

- On est peut-être des putes mais ça te dispense pas de prendre un bain avant de venir nous voir !
- Parce que vous vous prenez pour des princesses ?

Il avança encore d’un pas dans leur direction, et dans leur bravoure factice cette fois aucune d’entre elles ne bougea d’un pouce. Peut-être auraient-elles été mieux avisées de le faire. Sans prévenir, l’homme saisit Lyhn par le bras avant de le tordre douloureusement dans son dos, elle émit un gémissement de douleur avant de se cambrer légèrement en arrière. Si elle n’avait pas été aussi convaincue que n’importe laquelle de ses actions allait entraîner plus de souffrance en définitive, sans doute lui aurait-elle envoyé son talent dans l’entrejambe. Et évidemment il fallait que Dhorn soit parti soulager sa vessie pile à ce moment...
Daren Van Baelsar
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Jeu 20 Jan - 22:35
- Quelle partie de la phrase "pas ce soir" n'as-tu pas compris Prisca hein?
- Celle qui me rappelle que la dernière fois que t'as dit ça t'as passé presque toute la nuit entre mes mains expertes.

Daren claqua sa langue derrière ses dents serrées avant de prendre une nouvelle bouffée de sa pipe, gardant la décence de souffler la fumée à l'opposée de la jeune femme qui s'était joint à sa table. Il devait l'admettre, Prisca venait de viser juste , ce qui eut dont de le faire grommeler dans sa barbe. Bien que son ton râleur laisse penser le contraire, l'Ascanien n'était pas spécialement dérangé par la présence de la jeune femme à sa table - Tout comme elle ne semblait pas dérangée par ce ton non plus comme le démontrait son sourire -, d'autant qu'elle lui avait rapporté un verre sans qu'il ne demande rien. Il savait pertinemment que cette consommation était d'ores et déjà à sa charge, mais il aurait finit par aller prendre de quoi se désaltérer quoi qu'il arrive.

Arrivée juste après la représentation de la nouvelle à la danse hypnotique et sensuelle, Daren avait écouté les dires de sa nouvelle compagne de table sans pour autant détourner le regard de cette jeune femme qui avait presque totalement captivé son attention. Élégante même lorsqu'elle descendit du bar, il sentit même une pointe de frustration de la voir arrêter sa représentation. Toute les bonnes choses ont une fin malheureusement, et cette pause qu'il s'était accordé venait elle aussi de se terminer.

D'aussi loin, il ne put apercevoir le sourire de la jeune femme disparaitre lorsqu'un de ces rats accoudés au comptoir lui envoya une claque sur les fesse sans vergogne. Il se surprit malgré tout à ressentir une certaine colère envers l'auteur de cet acte, manquant de se lever d'instinct pour aller apprendre les bonnes manières à ce rustre. La réalité du lieu le rattrapa assez vite cependant et il se contenta de ruminer à nouveau en prenant une nouvelle bouffée de sa pipe. Son agacement ne disparut pas pour autant...

- [...] Hé, tu m'écoutes au moins ?
- Toujours, tu trouves cette soirée d'une ennui mortel mais tu ne veux pas t'amuser avec n'importe qui. Tu me l'a déjà servi cette histoire ma belle.
- C'est parce que t'es pas n'importe qui tout simplement.

Le clin d'œil accompagnant les paroles, la gestuelle, le rapprochement aussi discret que redoutable et un sourire ravageur, tout était bon pour qu'un potentiel client comme lui tombe dans le panneau et s'imagine que cette femme était attirée par lui contrairement à ses autres clients. Dans un autre contexte que celui de ce soir, il se serait sûrement prêté au jeu, malgré quelques grognements comme quoi il n'était pas comme tous ces types en mal d'amour. Mais ce soir, son attention était ailleurs, et Prisca finit par s'en rendre compte. Son regard suivit celui de Daren jusqu'à tomber sur Annette et cette fameuse nouvelle qui discutaient en bas de l'escalier.

- Alors elle! Un tour de hanche sur le bar et elle rafle toute l'attention, s'indigna bruyamment Prisca, faut dire qu'elle est mignonne avec ses petits airs innocents. La fille de joie gloussa, Innocente jusqu'à sa couche seulement ! Après c'est une autre histoire! L'autre fois y'avait un type la dans sa chambre et il...oh.

Daren, qui regardait dans la même direction, comprit pourquoi elle interrompit sa phrase, dont il n'aurait de toute façon  pas voulu connaître la fin. Une troisième fille venait de descendre. Le nom de celle-ci lui revint instantanément, comme souvent, il s'agissait de Fionna. Se cachant derrière ses comparses, elle tenait sa joue et fuyait l'étage, et pour cause. L'homme déboula à sa suite, visiblement très remonté, -sauf peut-être son pantalon pas tout à fait reboutonné -. Même de loin, ce type n'inspirait rien d'autre que de la méfiance pour Daren, et rien que d'imaginer que ces filles devaient se coltiner tout type d'individus, incluant les pires raclures des bas fond de ce foutu quartier lui donna presque la nausée. Bien sur, il ne prétendait pas faire mieux, si ce n'est qu'au moins lui, il était présentable.

- J'en connais qui vont avoir des ennuis, je sais pas ce qu'elles espèrent mais si Dhorn intervient pas, je parie sur un coquard et des chaudes larmes à l'étage avant de passer à autre chose !

Amusée, Prisca ne semblait pas prendre la mesure de ce qui se passait. L'Ascanien lui scrutait la conversation comme s'il essayait d'entendre ne serait-ce qu'un mot de ce qui se disait. Il n'entendait évidemment rien, mais il était aisé de deviner les grandes lignes du conflit. Lorsque l'homme eut saisit violemment le bras de la jeune femme encore méconnue, Prisca s'exclama à nouveau.

- Eh ben, c'est la p'tite qui va prendre ! Je sens qu'elle est partie pour une danse d'un autre genre !  

Dans le tumulte ambiant, elle ne réalisa pas que Daren s'était déjà levé de sa chaise pour partir en direction de l'escalier, laissant son chapeau et sa pipe sur la table.

Alors que l’homme semblait tiraillé entre s’en prendre à celle qu’il retenait et celle qui lui avait refusé d’honorer sa prestation - à raison -, il en profita pour se fendre d’un sourire mauvais et sentir la chevelure de la jeune femme sans ménager ce bras qu’il tenait devant lui. Son geste fut ponctué d’un ricanement infect, comme s’il se sentait maître de la situation. L’escalier étant en retrait par rapport aux tables et au bar, personne ne s’intéressait réellement à ce qui se passait, personne sauf Daren qui arrivait d’ailleurs à hauteur des résidentes et du forcené. Orienté dans la direction de la salle, l’homme chauve fut le premier à réagir même si l’Ascanien effleura d’abord le regard de la danseuse, dans un instant trop fugace pour se montrer rassurant..

- T’es qui toi? Tu veux quoi? S’enquit l’homme avec un ton à mi chemin entre le doute et l’agressivité.
- Allons allons, pas la peine de s’énerver mon gars, je viens juste m’enquérir de ce qui te chagrine pour que tu ais l’air si en colère.

Calme et sûr de lui à la limite de l’arrogance, Daren fixait intensément l’homme sans sourciller, mais sans montrer de signe de colère cependant. L’agresseur tempéra très légèrement ses ardeurs à la simple présence de l’Ascanien, ce qui était un bon point pour ce qui allait suivre.

D’un geste vif mais maladroit, le rustre pointa un doigt accusateur vers Fiona tout en la fixant avec rage.

- Cette trainée a prit mon argent et en plus elle m’insulte. J’ai payé pour la baiser, pas pour qu’elle se rebiffe !

Impassible, Daren esquissa même un sourire narquois en s’avançant d’un pas, recouvrant la distance respectable qu’il restait entre lui et l’homme au crâne chauve.

- Si c’est que ça qui te chagrine, alors j’ai quelque chose à te suggérer. Vous allez remonter, elle et toi là-haut…

Daren ne put voir Fiona blêmir, mais l’homme lui sembla s’en rendre compte, car un sourire carnassier dévoila des dents dépourvues de leur couleur d’origine et déformées en plusieurs endroits. Confiant maintenant qu’il pensait avoir a faire à quelqu’un de sensé.

- Ah là on cause ! Et tiens, je vais ptet' prendre celle-là en dédommag...

Daren réduisit l'homme au silence en abatant fermement sa main contre son épaule. Pris de court, le rustre n’osa pas réagir, encore plus parce qu’il sentait la pression qui était exercée sous la paume de la main de l’Ascanien qui lui fit réaliser que le sourire de l'Ascanien n'avait rien de compatissant.

- Vous serez plus au calme pour régler cette situation tu ne crois pas pas ? Moi je crois que si.

Une nouvelle fois, Daren ne le laissa pas parler, approchant quelque peu son visage, les yeux rivés sur le regard moins confiant de l’homme, il resserra encore un peu la pression, enfonçant peu à peu son pouce non loin de la clavicule de sa victime qui peinait à garder contenance.

- En revanche, et pour m’assurer de trancher pour savoir qui à raison ou tort, je vais vous accompagner, et on discutera autant de temps que nécessaire, à l’abri de regards indiscrets.

Cette fois, la menace était claire et très bien soulignée par le sourire carnassier et par son regard noir. Lentement, Daren attrapa l’autre main de l’homme, effleurant le bras de la danseuse sans geste brusque. Il tourna alors le pouce de l'homme pour défaire la pression qu’il exerçait encore sur le poignet de la pauvre jeune femme. L’homme qui semblait désormais prit de peur obtempéra sans contester, désormais trop occupé à s’imaginer en tête à tête avec Daren à l’abri des regards indiscret, une entrevue qui lui fit regretter son excès de violence. Il ravala sa salive en attendant la suite. Le sourire de l’Ascanien disparut soudainement.

- Ou alors, tu te barre tout de suite. Et vite.

L’homme tressaillit sous la pression qu’exerçait encore Daren. Sans avoir une force démesurée, sa main était suffisamment bien placé pour qu’il exerce plusieurs pressions à des endroits douloureux et désagréable. Qui plus est, le fait d’avoir un ennemi de plus, - un à sa taille et en bien meilleurs forme physique que lui qui plus est - sembla suffire à le décourager de se rebeller. Après avoir tenté désespérément de garder contenance en se montrant colérique, l’homme passa entre les jeunes femme sans même leur adresser un regard, marmonnant des injures sans hausser le volume de sa voix, probablement de peur.

Daren poussa un soupire sonore et hocha la tête de mépris en regardant l’homme s’éloigner.

- J’aurai du aller jeter ce rat d'égout dans une fontaine tellement il pue.

Daren tourna la tête légèrement sur le côté, croisant involontairement le regard de la nouvelle qu’il ne connaissait pas encore. Il ne détourna pas les yeux cependant et lui posa une simple question.

- Ton bras, ça va ?
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Ven 21 Jan - 21:35
Dans ce genre de situation, il n’y avait pas trente-six façons de s’en sortir, du moins pas lorsque l’on était plus chétive que son opposant. Du tact, de la diplomatie et un soupçon de bluff, des armes redoutables lorsqu’elles étaient utilisées par quelqu’un que l’on avait tendance à sous estimer. Jeter de l’huile sur le feu n’amenait jamais rien de bon, Lyhn le savait, ainsi elle espérait qu’Annette garderait sa langue acérée dans sa poche cette fois. Elle n’était pas inquiète, elle n’avait pas peur, car l’homme qui la maintenait avait fait la seule chose qui réduirait son argumentaire à néant si d’aventure la maquerelle se mêlait de cette histoire – et elle finirait par s’en mêler s’il continuait à ameuter toute la salle avec ses hurlements – : il avait levé la main sur une fille, suffisamment fort pour qu’elle en garde une marque. Tous les habitués le savaient pourtant, il était interdit « d’abîmer la marchandise ».

Autant il n’était pas agréable de se considérer comme une marchandise, autant Lyhn ne crachait pas sur cette relative protection. Relative car il n’y avait rien de véritablement gravé dans le marbre en ce bas monde et s’il y avait une deuxième chose qu’elle avait apprise, c’est qu’ici tout était monnayable. Ainsi, si l’on payait les frais médicaux engendrés par « un coup de sang accidentel », la faute était plus ou moins oubliée, à défaut d’être pardonnée. Heureusement pour elle, elle aurait pu affirmer avec certitude que la raclure des bas fonds qui la retenait n’avait pas assez d’argent pour faire oublier ses accès de violence. Au mieux il finirait jeté dehors par Dhorn lorsqu’il reviendrait, au pire on lui interdirait tout bonnement l’accès à l’établissement à partir de ce soir.

- Ça suffit, elle a rien fait, c’est moi qui…

Encore tremblante – à la fois de peur et de colère – Fiona semblait regretter d’avoir mêlé une autre personne à ses ennuis ; Lyhn lui jeta aussitôt un regard compatissant. Les filles étaient toujours solidaires entre elles – à une ou deux exceptions près – parce qu’elles vivaient toutes exactement la même chose et parce que si elles ne prenaient pas soin les unes des autres alors personne ne le ferait pour elles.

Avant qu’elle n’ait pu prononcer le moindre mot, un homme plus grand que la moyenne s’approcha d’eux mais Lyhn capta son regard si brièvement qu’elle fut incapable de dire s’il était là pour aider ou pour se joindre à la fête. Ce qu’elle nota très clairement en revanche, ce fut le soulagement dans les visages d’Annette et Fiona – Fiona en particulier. Elle se décomposa néanmoins quand le nouveau venu suggéra qu’elle retourna à l’étage avec son client, Lyhn serra simplement les dents. Où était passé Dhorn ? Lorsque la pression autour de son poignet se relâcha, elle s’écarta immédiatement du duo, reprenant sa place initiale près de ses amies tout en se massant douloureusement l’épaule qui n’avait pas supporté d’être contorsionné de la sorte. Annette passa un bras autour d’elle, elle se laissa faire.

Un long et sincère soupir de soulagement échappa à Fiona quand elle vit son client déguerpir ; elle essuya finalement les larmes qui perlaient au coin de ses yeux, comme si ces dernières n’avaient plus lieu d’être et sourit chaleureusement à l’inconnu. Annette quant à elle dardait encore un regard furieux dans le dos de l’indélicat client qui prenait la fuite.

- Merci, merci…

Lyhn avait toute son attention braquée sur ce sauveur providentiel. D’ordinaire, elle avait tendance à se méfier des hommes qui pouvaient lui briser la nuque d’une seule main ; cette appréhension mourut lorsqu’elle croisa à nouveau son regard. Au delà du fait qu’il venait de la tirer d’un mauvais pas, il y avait dans ses yeux quelque chose de plus doux que ne le suggérait son apparence.

- Ton bras, ça va ?
- J’en ai vu d’autre, répondit-elle en forçant un sourire. Elle espérait simplement que cela ne l’empêcherait pas de danser un peu plus tard dans la soirée.
- On peut dire que tu soignes toujours autant tes entrées, s’exclama joyeusement Annette qui confirma ainsi ce que Lyhn soupçonnait depuis le début : les deux filles le connaissaient, et plutôt bien.
- Ça faisait longtemps qu’on ne t’avait pas vu, commenta presque timidement Fiona, comme si elle espérait qu’il allait lui expliquer ce qu’il l’avait retenu ailleurs tout ce temps et Lyhn n’avait jamais vu  ses yeux briller à ce point.
- C’est dommage que tu l’aies fait fuir si vite, coupa la blonde. Elle aperçut le regard de reproche de son amie à côté d’elle et ajouta : Je veux dire, on aurait pu lui soutirer encore plus d’argent, il t’a quand même frappée.
- Peu importe, je voulais juste qu’il parte…

- On peut savoir ce qu’il se passe ici ?!

Viviane, que tout le monde ici appelait « Madame Viviane » était la maquerelle du bordel. C’était une dame plus petite que la moyenne de ses filles, comme si les années l’avaient tassée sur elle-même, mais dont le fort caractère la rendait presque plus imposante que n’importe qui dans la pièce. Madame Viviane était un peu à l’image des lieux, tout ce qu’elle portait semblait trop vieux et trop abîmé pour lui donner la moindre prestance, de ses vêtements à ses bijoux en toc, de son fard bleu criard et trop prononcé sur les paupières à son parfum bon marché, autant de cache-misère qui ne faisait pas vraiment honneur à la belle femme qu’elle avait dû être par le passé. Elle était néanmoins une figure respectée dans les bas-quartiers et parvenait à gérer ses affaires d’une main de maître.

- Madame Viviane !
- Il l’a frappée Madame, son client. Et Dhorn était encore parti se rouler les pouces quelque part. Heureusement qu’il reste quelques hommes d’honneur pour nous venir en aide, hein.

Annette décocha un clin d’œil à leur sauveur. Lyhn savait pourquoi elles évitaient de mentionner ce qui avait attisé la colère du client. Madame Viviane n’apprécierait sûrement pas de savoir que Fiona avait refusé d’honorer ce dernier alors qu’il avait pourtant payé. Elle avait beau les protéger, elle se montrait parfois assez dure et intransigeante et détestait par dessus tout l’idée de perdre un client ou de l’argent facile.

- Ça faisait longtemps, commenta simplement la vieille maquerelle en posant son regard gris sur l’Ascanien. Elle reporta presque aussitôt son attention sur Fiona. Annette, va aider Fiona à arranger un peu ce qu’elle a au visage ou elle va faire fuir les clients.

Annette hocha vivement la tête et entraîna une Fiona un peu dépitée derrière elle.

- Peut-être à plus tard ! glissa t-elle à l’inconnu avant de disparaître à nouveau à l’étage.
- Et toi là ! Lyhn rentra presque imperceptiblement la tête dans les épaules, visiblement peu ravie d’être à nouveau au cœur de l’attention. Ne reste pas plantée là et va servir un verre à ce grand gaillard. C’est la maison qui offre, ajouta t-elle avec l’ombre d’un sourire dans sa direction.

Et elle les laissa plantés devant l’escalier, seuls, sûrement pour partir à la recherche de Dhorn. Voilà pourquoi Lyhn n’avait pas semblé effrayée le moins du monde lorsqu’elle était aux prises avec le client mécontent de Fiona : il y avait des choses qu’elle craignait beaucoup plus en ce monde, imaginer être à la place de Dhorn quand Madame Viviane lui mettrait la main dessus en faisait partie.

Elle se tourna vers le mystérieux sauveur, un sourire au coin des lèvres, avant de lui faire un léger signe de la tête en direction du comptoir, l’invitant poliment à la suivre. Finalement ce n’était pas bien compliqué de se voir offrir un verre, il fallait simplement secourir des demoiselles en détresse, et il n’y avait que ça autour d’eux. Lyhn posa un verre devant l’Ascanien avant de le remplir avec la liqueur la plus chère qu’ils servaient ici ; Madame Viviane avait dit que c’était la maison qui offrait, elle n’avait pas donné d’instructions supplémentaires, aussi Lyhn n’avait aucune raison de ne pas se montrer généreuse. Elle posa la bouteille à côté d’eux et croisa ses bras sur le comptoir en lui offrant cette fois un sourire qui n'avait plus rien de forcé.

- Tu es une sorte de célébrité ici ? Tout le monde a l’air de te connaître mais je ne t’ai jamais vu.
Daren Van Baelsar
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Sam 22 Jan - 15:44
Daren demeura silencieux face à la matrone, se contentant d'un léger hochement de tête en réponse à la salutation qu'elle lui avait adressée. Sans pour autant craindre pour son matricule, l'Ascanien savait qu'il aurait été inutile qu'il se mêle de cette histoire plus encore, il était intervenu et c'était probablement la meilleurs chose qu'il pouvait faire, pour le reste, Madame Vivianne était aux commandes et ça ne le regardait plus. Lorsqu'elle interpella la danseuse pour lui donner comme consigne d'accompagner Daren au bar, celui-ci pencha la tête légèrement sur le côté en esquissant un sourire pour la remercier de son sens des affaires.

Il ne se fit pas prier pour suivre la jeune femme au bar, profitant de ce court instant pour jeter un œil aux alentours, au cas où cette distraction l'ait fait rater quelque chose d'important. Rien ne l'interpella spécialement, si bien qu'il reporta son attention sur la danseuse, qui déjà remplissait son verre d'une boisson qu'il connaissait tant il avait déjà écoulé beaucoup de son solde dedans, par le passé. Le sourire qu'elle lui adressa apaisa son agacement ressenti depuis que l'homme s'était permis de dépasser les limites d'un comportement respectable. Il ne comprit pas bien pourquoi cette situation l'avait autant crispé, certes il appréciait la plupart des résidentes, mais il était assez rare qu'il agisse par pure impulsion. Au moins, jouer les chevalier servant lui avait valu de pouvoir gratter un verre de plus aux frais de la maison.

Prenant son verre en main, il le leva devant lui et l'approcha de ses lèvres. Il s'arrêta cependant dans son mouvement pour répondre à la question de la danseuse.

- Je sais pas si célébrité est un mot très approprié ici, mais disons que c'est pas la première fois et que je fais pas suffisamment de vague pour qu'on me jette dehors à vue.

Il s'interrompit alors pour boire une petite gorgée de son verre avant de reprendre.

- Je suis pas venu depuis longtemps pour...des raisons. J'imagine que tu bossais pas ici la dernière fois que je suis passé, je m'en souviendrai sinon.
- Je suis arrivée ici au printemps dernier mais j'ai l'impression que c'était il y a une éternité.

Daren ne répondit pas, bien qu'il eut la satisfaction d'avoir une réponse à ses interrogation, lui qui était si sur que sa mémoire ne lui avait pas joué des tours et fait oublier cette jeune femme dont il ignorait encore le nom. Pour lui, il aurait été improbable qu’il oublie une personne comme elle. Il laissa le loisir à la jeune femme de reprendre son élocution, notamment parce qu'il était curieux d'étudier un peu le comportement de son interlocutrice. Toujours souriante, elle reprit la parole.

- Merci pour le coup de main, c'est pas souvent que les clients volent à notre secours.
- J'étais au bon endroit au bon moment, je peux pas voir en peinture ce genre de type et je suis sûr que ni toi ni Fiona ne méritaient de subir son odeur plus longtemps. D'ailleurs, tu t'appelles comment ?
- Lyhn.

Sur cette simple réponse, elle s'éloigna promptement pour aller servir un autre client réclamant son attention. Daren la suivit du regard. Lyhn, un nom de plus qu'il n'oublierait pas, et qui lui donnait l'étrange certitude que ça ne serait pas la dernière fois qu'il l'entendait. Il se surprit à ressentir une pointe de satisfaction lorsqu'elle revint en face de lui, à peine deux minutes plus tard.

- Je crois qu'elle t'aime bien. Voyant que Daren fronçait les sourcils, elle précisa sa pensée en souriant davantage, Fiona je veux dire.
- C'est une gentille fille...Dit-il, pensif, je pense que ça lui joue des tours malheureusement.
- C'est vrai, mais elle sait qu'elle peut compter sur nous.
- Vous êtes solidaires, c'est bien, quoi qu'un peu téméraire visiblement.

Le ton de Daren était presque tranchant, bien que sa phrase révèle un fond de raillerie dans son attitude. Un léger sourire se dessina au coin de ses lèvres avant qu'il ne boive une nouvelle gorgée de liqueur, sentant la brûlure caractéristique d’un alcool forti lui réchauffer le gosier. Aux vues du rire que Lyhn laissa échapper, la plaisanterie avait été comprise et acceptée sans problème.

- Quand Annette est dans les parages uniquement.

Cette fois ce fut un sourire amusé qu'il afficha à son tour, s'imaginant le caractère bien trempé d'Annette en action tandis que les autres essayaient plutôt à la diplomatie et au règlement à l'amiable. Il l'avait déjà vu à l'œuvre, et il pouvait parfois suffire qu'elle se soit autorisé quelques verres pour que ça tourne au vinaigre. Madame Vivianne l'avait déjà sermonné lorsque Daren était dans les parages, mais elle semblait toujours prompte à pardonner à la jeune femme qui, malgré ses frasques, faisait rudement bien son travail.

- Tu m'as vue danser tout à l'heure ? Demanda-t-elle avant qu'il n'ait répondu.

Même s'il avait voulu prendre un air détaché, pas toujours à l'aise avec les compliments, il aurait été impossible de nier l'avoir vu occuper ce même comptoir il y a peu. Il n'aurait pas été plus envisageable que de prétendre qu'il n'avait pas apprécié ce spectacle qu'elle avait offert à tout le monde.

- Ca aurait été difficile de ne pas te voir. Daren regarda son verre un instant en grommelant à bas volume, comme s'il reprochait à l'alcool de le rendre trop spontané et sincère à son goût. Il reporta son attention sur Lyhn et reprit malgré tout. J'avais jamais vu aucune fille faire ça ici avant toi.

Toujours plus souriante, la jeune femme sembla touchée par ce semblant de compliment.

- J'aime bien danser, j'essaie de faire quelque chose d'un peu différent à chaque fois. Dit-elle en jetant un œil aux clients accoudés au comptoir. Ils ont tous l'habitude maintenant, ils ne font plus attention aux détails. Je voulais savoir ce qu'en pensait quelqu'un qui me verrait pour la première fois.

Daren s'apprêtait à répondre lorsqu'il remarqua que le regard de Lyhn s'échappa derrière lui, amenant son visage à se fermer quelque peu. Avant qu'il n'ai le temps de se retourner, il sentit son chapeau se poser délicatement sur sa tête.

- Je crois que tu as oublié ça. Murmura sensuellement Prisca à l'oreille de l'Ascanien tout en passant ses bras autour de lui dans un geste tout sauf désintéressé.

Le parfum de Prisca était enivrant, au moins autant que sa gestuelle maîtrisée et destinée à capter l'attention sur elle. Daren ne pouvait pas décemment pas l'ignorer. Lentement, elle glissa sa pipe en bois dans sa poche tout en se collant un peu trop à lui. L'Ascanien ne s'en offusqua pas, bien que cette interruption semblait l'avoir dérangé quelque peu.

- Toi qui te souviens toujours de tout, voilà que tu m'oublies en plus de tes affaires pour les beaux yeux d'une autre, quel chevalier servant tu fais.

Toujours plus aguicheuse, la voix de Prisca était douce et chantante malgré l’ironie, ponctuée par quelques bribes de provocations bien amenées, parlant tout près de son oreille au point qu'il pouvait en sentir le souffle chaud qui s'échappait de ses lèvres.

- Il faut croire que j'ai des failles, comme tout le monde, lança-t-il sans agressivité.
- Une petit déhanché et hop, monsieur est sous le charme à ce que je vois, répondit-elle en lançant un fugace regard noir à Lyhn, moi qui croyais que j'étais ta préféré.

Daren n'avait jamais dit ça. A vrai dire, il n'avait passé la nuit avec Prisca qu'une seule fois, une fois où il s'était d'ailleurs particulièrement enivré et qu'il ne se souvenait pas de tout. Non, sa préférée avait tendance à être aux antipodes de ce qu'était cette femme. Il ne la détestait pas, loin de là, mais parfois son comportement compétitif avait le don de l'agacer et de l'inciter à prendre des distances, comme à cet instant où il se dégagea légèrement de l'étreinte qu'elle lui offrait. Prisca fixa une nouvelle fois Lyhn et esquissa un sourire en regardant la bouteille contenant le meilleur alcool de l'établissement.

- Et visiblement, ton charme fait aussi son effet chez elle...quelle générosité...
- Madame Vivianne l'a invité à m'accompagner au bar pour m'offrir ce verre, ce qu'elle a fait sans traîner. Coupa-t-il presque, un brin exaspéré par l'attitude de Prisca. On va pas contrarier la Matronne n'est-ce-pas ma belle?

Prisca eut un moment d'hésitation. Malgré tous ses excès de confiance, il était difficile d'argumenter lorsque le nom de la maîtresse des lieux se faisait entendre. Daren le savait et il en profitait à cet instant, croisant un court regard complice à Lyhn qui ne semblait pas vraiment apprécier la jeune femme. Prisca fronça les sourcils, effaçant ses airs aguicheurs pour afficher une moue boudeuse, trahissant sa contrariété de passer au second plan face à Lyhn. Il en aurait été surement de même avec n'importe quelle autre fille d'ailleurs, car Prisca aimait être au cœur de l'attention. Elle se détacha alors de Daren, toujours en douceur, mais se rapprocha finalement d'un coup, se collant à lui, valorisant ses attributs féminin contre son bras pour lui murmurer à l'oreille à nouveau.

- On peut toujours aller là-haut dès que tu auras fini ton verre tu sais.

Daren ne put réprimer un frisson en sentant à nouveau ce souffle contre son oreille. Malgré cela, sa réaction fut assez neutre et il tourna la tête vers elle, retirant son chapeau pour le poser avec soin sur le comptoir, soulignant quelque peu son intention de rester à sa place..

- Pour le moment, je suis bien où je suis et j'aimerai continuer ma discussion en cours en profitant de mon verre, tu veux bien?

Aussi calme et respectueux qu'était cette phrase, la question n'en restait pas moins rhétorique. Il était assez étonnant de voir que cependant Prisca ne manifestait pas autant de contrariété cette fois-ci, alors qu'elle venait de se faire congédier. Était-ce parce que Daren avait été suffisamment adroit pour ne pas la blesser dans son égo, ou bien parce qu'elle espérait jouer de patience pour qu'il finisse par demander à passer la nuit entière avec elle. Beaucoup de filles de joie appréciaient qu'on leur demande quelque chose plutôt que de l'exiger, et c'est précisément ce que Daren avait fait à l'instant. Son côté pimbêche ne la rendait pas idiote pour autant, si bien qu'elle avait aussi compris qu'il n'était pas encore l'heure de se montrer plus insistante, pas avec lui en tout cas. Non sans accentuer sa démarche chaloupée, elle s'éloigna après avoir adressé un clin d'œil à l'Ascanien.

Profitant de s'être tourné pour parler à Prisca, il jeta un nouveau coup d'œil rapide à la salle, mais rien de ce qu'il recherchait n'apparut dans son champ de vision. Il n'exprima rien quant à cette déception, bien qu'il se demandait d'ores et déjà s'il n'avait pas été mené sur une mauvaise piste. La soirée pouvait promettre d'être longue, dans ce genre de cas.

Daren reporta immédiatement son attention sur Lyhn, comme si de rien était. Après avoir bu une nouvelle gorgée, laissant un insignifiant fond de liquide dans son verre -comme pour se convaincre qu'il ne buvait pas trop vite-, Daren reprit la conversation là où ils l'avaient laissée.

- Vu comment ils te regardaient tous, j'imagine que Dame Vivianne n'est pas déçue de t'avoir engagée. Il marqua une petite pause mais reprit assez vite. Peut-être aurai-je l’occasion de les voir, ces fameuse variation que tu fais dans tes danses.

Il avait beau s'exclure de son propos, Daren repensait à cette fameuse danse qu'elle avait offert à la clientèle. Une véritable démonstration de sensualité et de charme qu'il serait difficile de lui enlever de la tête. Encore une fois, cette phrase ressemblait un peu trop à un compliment à son gout, mais il ne pouvait s'empêcher de constater certaines évidences, d'autant que le sourire innocent et naturel de cette jeune femme lui donnait envie de ne surtout pas la contrarier.
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Dim 23 Jan - 17:10
Lorsqu’elle était arrivée ici, Prisca avait été l’une des seules à ne pas l’avoir particulièrement bien accueillie et plus généralement Lyhn n’avait jamais eu besoin de faire ou dire quoi que ce soit pour s’attirer son hostilité. Peut-être était-ce l’idée de voir l’établissement se remplir de nouvelles jeunes et jolies recrues qui la rendait aussi aigrie – Prisca avait six ans de plus que Lyhn – ou peut-être qu’elle n’avait pas supporté que la danseuse se donne en spectacle certains soirs, éclipsant les autres filles dans la salle. Pour quelqu’un comme Prisca, ne pas être dans la lumière semblait être le pire des destins. Lyhn avait fini par comprendre que le problème ne venait pas vraiment d’elle et que la fille de joie n’était pas quelqu’un de spécialement agréable au quotidien, comme le prouvait chaque jour leur cohabitation forcée.

Il y avait cependant une chose qu’on ne pouvait pas lui enlever, Prisca était douée pour les minauderies, au moins autant que Lyhn était à l’aise avec la danse – une seconde nature. De plus, son petit côté peste semblait plaire à beaucoup de clients, qui eux n’avaient pas à la supporter des jours durant mais seulement quelques heures de temps à autre – les chanceux. Mais même dans un moment comme celui-ci, Prisca ne pouvait s’empêcher de lui lancer des piques plus ou moins indirectes au visage, piques auxquelles Lyhn faisait toujours l’affront de répondre uniquement par un sourire. L’élégance lui commandait de se détourner de cette conversation qui ne la concernait pas mais elle fut incapable de renoncer à assister à un spectacle bien trop rare en ces lieux : Prisca éconduite par un client qui préférait se saouler au bar plutôt que de la rejoindre dans sa chambre. Toute la difficulté était de ne pas sourire davantage lorsque la pauvresse finit par battre en retraite.

L’inconnu dont elle ignorait toujours le nom finit presque tout le contenu de son verre avant de le reposer sur le comptoir, reprenant leur conversation comme s’ils n’avaient jamais été interrompus.

- Peut-être aurai-je l’occasion de les voir, ces fameuse variation que tu fais dans tes danses.

Lyhn ne répondit pas immédiatement. Qu’il soit sincère ou feint, l’intérêt que l’on portait à ses danses lui réchauffait toujours le cœur. Elle finit par se pencher légèrement vers lui, comme si ce qu’elle s’apprêtait à lui dire n’était destiné qu’à lui.

- J’espère qu’elles te plairont.

Elle ne l’avait pas observé minutieusement jusqu’à maintenant – on ne lui en avait pas vraiment laissé l’occasion - mais tout à coup un tas de détails lui sautèrent au visage, à commencer par la qualité de ses vêtements. Ce n’était pas un homme qui s’habillait dans les bas quartiers ça, d’ailleurs son aspect soigné tranchait avec le reste de la clientèle. Elle commençait à comprendre pourquoi Prisca avait déployé tant d’énergie à vouloir le faire monter dans sa chambre : il était séduisant, certes, mais surtout il avait de l’argent, en tout cas plus que leurs clients habituels. Quant à savoir ce qui poussait quelqu’un qui en avait les moyens à choisir un bordel aussi bas de gamme, elle ne pouvait que le supposer. Certains aimaient l’anonymat que conférait ce genre de lieu, d’autres aimaient simplement exercer leur pouvoir sur des gens qui n’avaient pas le luxe de refuser les pires excentricités.

Et lui où se situait-il dans tout ça ?

- Je te ressers quelque chose ? demanda t-elle en avisant son verre vide.
- Seulement si je bois pas seul cette fois, lui répondit-il en jetant un rapide et distrait coup d’œil derrière lui. Son attention se remagnétisa sur elle si vite qu’elle eut presque l’impression d’avoir imaginé ce qu’elle avait vu.

Non sans un sourire, elle s’éloigna pour chercher un deuxième verre qu’elle posa devant elle avant de les servir tous les deux. Quand c’était offert par un client, l’alcool était toujours meilleur, comme le confirma la gorgée qu’elle avala sans tarder, presque comme si elle avait attendu ce moment une bonne partie de la soirée.

- Non pas que je n’ai pas apprécié ton intervention tout à l’heure mais ça, dit-elle en désignant son verre, c’est vraiment ce qui va sauver ma soirée.
- Tu avais l'air très en joie quand tu dansais, ce gars a réussi à ruiner ta soirée ?
- Ai-je le droit de me plaindre de mon travail sur… mon lieu de travail ? demanda t-elle en rigolant.
- Je suis sûr que tu entends les jérémiades d’hommes en mal d'attention tous les soirs, tu as bien le droit de râler un peu, dit-il en buvant une gorgée avant de faire un signe vers elle, l’invitant à s’épancher.

Il est vrai qu’elle entendait de tout ici, surtout que cette position stratégique lui était souvent dévolue lorsque Madame Viviane était occupée ailleurs. Cela ne lui posait pas vraiment de problème, elle préférait servir des verres que de s’asseoir sur les genoux des clients. Et de façon générale, elle préférait écouter plutôt que de parler d’elle. Même si elle appréciait qu’on lui offre une oreille attentive – en plus d’un verre, cet homme était décidément le client parfait – elle préféra changer de sujet rapidement et satisfaire la curiosité qu’avaient suscité tous ces regards qu’il avait jetés par dessus son épaule.

- Tu attends quelqu’un ?

Elle pensa avoir commis une erreur en posant cette question lorsqu’elle le vit froncer les sourcils, même si cela ne dura qu’un instant.

- Pas vraiment… Il sembla hésiter puis reprit finalement. Enfin, il se peut que je croise quelqu'un qui m'intéresse en effet.
- Si tu me disais son nom, je pourrais peut-être lui dire que tu la cherches.
- C'est pas quelqu'un d'ici, je parle d'un potentiel visiteur.

Comme s’il se maudissait tout seul de se montrer aussi honnête chaque fois qu’il lui répondait, l’inconnu marmonna quelque chose d’inaudible dans sa barbe. Loin de battre en retraite, Lyhn se pencha cette fois vers lui.

- Peut-être que je pourrais…

Mais les ivrognes au bar réclamèrent à nouveau son attention, que ce soit pour qu’elle leur serve un nouveau verre ou pour juste pour avoir le plaisir d’échanger quelques mots avec elle. Elle répondait à toutes les sollicitations avec ce même sourire, sans laisser transparaître aucune lassitude.

- Tu danseras plus tard ?
lui demanda l’un d’entre eux.
- Peut-être…, répondit-elle distraitement en essuyant un verre qui brillait déjà de mille feux.

Même dans une situation comme celle-ci, Lyhn aimait toujours faire comme si elle avait le choix de faire ou de ne pas faire quelque chose. Elle cultivait cette illusion constamment, quitte parfois à ce que son comportement passe pour de l’arrogance. De longues minutes s’écoulèrent avant qu’elle ne revienne vers l’Ascanien. Quoi qu’elle ait eu l’intention de lui dire avant de le quitter, cela semblait avoir totalement déserté son esprit. Elle pouffa en voyant Dhorn faire son grand retour près de l’escalier. Il avait la mine abattue, celle qu’il avait chaque fois qu’il se faisait tirer les oreilles par Madame Vivianne. Lorsque cette derrière reprit sa place derrière le bar, elle posa une main sur l’épaule de Lyhn, un geste que la danseuse savait annonciateur de mauvaises nouvelles.

- Dario veut réserver sa nuit avec toi.

Une claque sur les fesses, un client indélicat et une petite altercation sans conséquence, tout cela n’avait pas le pouvoir de véritablement lui gâcher la soirée. Dario, lui, avait ce pouvoir. Instinctivement, ses yeux allèrent à sa rencontre, exactement là où elle s’attendait à le trouver : à la table des jeux, Melodie sur les genoux. C’était une petite frappe des bas quartiers, un petit chef sans grande envergure mais dont le potentiel de nuisance ne semblait pas connaître de limite. Il avait dû gagner une coquette somme ce soir pour qu’il s’autorise le luxe de payer une nuit entière à ses côtés. L’idée de passer autant de temps avec lui lui donnait la nausée.

- Tu es bien libre cette nuit ? insista la maquerelle

Combien de verres avaient bu Dario ce soir ? Y avait-il des chances pour qu’il s’endorme aussitôt sa petite affaire finie ? Non, s’il avait payé la nuit, alors c’est qu’il devait se sentir la force de soulever des montagnes. À quel genre d’humiliation allait-elle devoir s’attendre cette fois ? Tout dépendait s’il avait consommé du Lotus Noir ou pas, elle le trouvait toujours plus imaginatif lorsqu’il en prenait. Elle ne supportait d’ailleurs pas qu’il laisse cette odeur partout dans sa chambre chaque fois qu’il venait la voir. D’un geste, elle vida le reste de son verre. Du courage liquide, comme disait Annette, sauf qu’un seul verre ne suffirait pas cette fois.

Le courage de passer une nuit avec Dario, elle ne le trouverait peut-être pas au fond de son verre, mais la témérité pour échapper à ce destin, peut-être. C’est vers l’inconnu qu’elle se tourna presque trop spontanément, elle le regarda avec tellement d’intensité soudain qu’il semblait ne plus rien exister d’autre dans la pièce.

- Je ne sais pas, est-ce que je suis libre cette nuit ? lui demanda t-elle directement, comme s’il était le seul à avoir la réponse à cette question.

Que Prisca en prenne de la graine.
Daren Van Baelsar
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Dim 23 Jan - 23:37
Tout en se demandant ce qu'elle s'apprêtait à dire avant d'être interrompue, Daren observait les gestuelles et attitudes de Lyhn tandis qu'elle accordait une attention toujours soignée à chaque client qui l'interpellaient pour lui demander de servir à boire ou de danser. Elle semblait avoir une telle maîtrise des apparences que même lui se demandait à cet instant si ces sourires qu'elle adressait aux clients, lui y compris, n'étaient pas animés d'un fond de sincérité. Quelque chose en elle lui apparaissait comme inhabituel, une sorte d'innocence innée qui dénotait complètement avec les lieux ou même les autres filles. Bien entendu, il tempérait ses propres conjectures en se rappelant que plus une fille de joie parvenait à apparaître naturelle lorsqu'elle témoignait de l'affection, plus elle était capable d'enchaîner les passes. Une méthode qui d’ailleurs marchait généralement très bien avec Daren…

Étrangement ces pensées lui laissèrent un goût amer dans la bouche qu'il chassa en buvant une nouvelle gorgée de son verre. Il le reposa sur la table pour regarder sa main et joindre les extrémités de ses doigts, sentant un début d'engourdissement mêlé à un picotement caractéristique des premiers signes d'inhibition. A vrai dire, il en était déjà à son troisième verre, lui qui venait théoriquement avec la ferme intention de rester sérieux et de partir une fois sa quête d'information remplie. Malheureusement pour lui, il savait très bien que sa journée était déjà finie et qu'il avait pris la décision de venir ici ce soir par sa propre initiative. Au fond, ne s'était-il pas prétexté quelconque conscience professionnelle pour aller s'enquérir d'un peu d'alcool et de compagnie ? Cette question intérieure lui fit serrer les dents. Il passa sa main dans sa nuque en inclinant la tête pour tenter de chasser sa crispation et reporta son attention sur Lyhn qui était de retour près de lui.

Madame Vivianne arriva presque dans le même temps, empêchant dans un premier temps de revenir à cette conversation, mais surtout à cette phrase qui n'avait pas eu de fin. Daren écouta d'une oreille attentive la conversation entre la Matronne et sa fille. Il ne lui fallut pas longtemps pour comprendre que Lyhn venait d'apprendre une nouvelle qui ne l'enchantait guère. Tentant de suivre le regard de la jeune femme sans trop se faire remarquer, Daren se tourna de trois quart et observa l'assemblée. Il ne l'aurait pas juré, mais il pensait savoir qui était ce fameux Dario. Il n'émit aucun commentaire et se contenta de reporter son attention sur son verre, l'oreille tendue.

Lorsqu'il vit Lyhn engloutir d'une traite son verre, ses suspicions devinrent aussi évidentes que si elle lui avait dit directement ce qu'elle pensait de lui.

- Je ne sais pas, est-ce que je suis libre cette nuit ?

Le regard de Daren passa de Lyhn à Vivianne un instant, puis il revint planter son regard dans celui de la danseuse et prit la parole avec une certaine assurance.

- Je pense avoir exprimé le même souhait que ce fameux Dario, ai-je été plus rapide que lui? Dit-il en exagérant quelque peu de politesses.

Madame Vivianne jeta un coup d'œil à Lyhn qui soutint le regard de l'Ascanien. Finalement, un sourire se dessina sur son visage tandis qu'elle tendait la main vers Daren.

- Il n'a pas encore payé, alors...

Daren esquissa un sourire satisfait à la matrone. Quelque chose au fond lui fit ressentir un certain soulagement quant au fait que Lyhn ne passerait pas la nuit avec ce fameux Dario. Ce n'était pas par instinct de compétition, mais plus par conviction que cet homme n'avait rien de bon à lui apporter. Il évita de penser au fait qu’elle avait sûrement déjà été en relation avec lui, justifiant ainsi ses réactions. Ironiquement, on ne pouvait pas dire que Daren était mieux, car après tout, lui aussi était un client comme les autres.

Tout en se redressant un peu à deux pas du comptoir, l'Ascanien fouilla dans un pan intérieur de son manteau pour sortir une bourse de laquelle il ôta quelques pièces qu'il garda en main. Il referma le petit lacet de cuir et déposa la bourse dans la main de la matrone qui ne fit pas le compte. Après tout, Daren n'avait jamais essayé de l'arnaquer, et puis s'il tentait de le faire, elle saurait forcément où le trouver après avoir recompté par sécurité.

- Une dernière chose...Dit-il avant que Madame Vivianne ne retourne vaquer à ses occupations.

D'un geste un peu provocateur, il glissa un nombre non négligeable de pièces le long du bar jusqu'à ce qu'elle soit à portée de main de la Matrone. S'il avait prévu à un moment de ne rien dépenser ce soir, voilà que cette résolution était morte et enterrée.

- Je ne vais pas monter tout de suite, mais j'aimerai que Lyhn soit libre de son service au bar, qu'elle puisse aller et venir librement pendant ce temps, Il hésita un bref instant avant de finalement continuer son élocution. et qu'elle puisse danser à nouveau si l'envie lui prend.

Ces derniers mots avaient été accentués à dessein, et bien qu'il espère voir à nouveau cette jeune femme s'exprimer d'une autre manière qu'au travers de son métier de résidentes de la belle de nuit, il ne lui en voudrait pas de ne pas le faire. Non, ce qui l'importait pour le moment et sans qu’il ne puisse réellement se l’expliquer, c'est qu'elle ait le choix de faire ce qu'elle veut, au moins pendant quelques instants.
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Ven 28 Jan - 22:00
Madame Viviane regarda les pièces s’étaler devant elle avec des yeux ronds avant de les faire disparaître une à une dans son corsage ; un sourire s’étira sur ses minces lèvres aussi craquelées qu’un vieux parchemin, ce qui adoucit un instant l’entièreté de son visage. D’un geste, elle récupéra le torchon que Lyhn avait gardé dans les mains, comme pour lui donner la permission de disposer.

- Eh bien, ma fille, on peut dire que t’as tiré le gros lot ce soir, lui dit-elle avant de s’éloigner d’eux.

Tirer le gros lot aurait impliqué que l’on mise quelque chose en espérant en obtenir au moins le double, or Lyhn n’avait pas vraiment calculé ce qu’elle pourrait gagner, tout juste ce à quoi elle pourrait échapper. Parier, miser, calculer, elle n’en était pas là – dans ce domaine, sans doute pourrait-elle s’inspirer davantage de Prisca. Elle se sentait parfois comme un agneau au milieu d’une meute de loups, et de tous les loups présents ce soir-là, elle avait choisi celui dont le regard lui semblait le plus doux. Elle avait choisi alors même qu’elle n’était pas en position de le faire.

Elle resta bêtement sans rien faire plusieurs secondes, fixant celui qui s’amusait à jouer les sauveurs depuis qu’elle l’avait rencontré. L’idée de le remercier lui traversa brièvement l’esprit – pas pour avoir payé pour passer la nuit avec elle, évidemment, mais pour le geste qui avait suivi – mais elle sentait qu’il n’attendait aucun remerciement de sa part. C’était une drôle d’idée, d’offrir à une prostituée le luxe de faire ce qu’elle voulait du reste de sa soirée. Que voulait-elle faire d’ailleurs ? La réponse s’imposa très vite à elle mais elle l’écarta pour le moment. Elle finit par contourner le bar pour prendre place sur le seul tabouret vacant à côté de cet homme dont elle ignorait jusqu’au nom.

- Je comprends pourquoi elle t’aime bien. Une fois de plus, elle laissa un petit silence avant de préciser. Fiona je veux dire.
- Parce que je paye pour la nuit entière ? Cette question faussement sérieuse fut récompensée d’un éclat de rire.
- Alors ça, ce n’est pas toujours une bonne nouvelle, crois-moi.

L’inconnu lui offrit un petit sourire en retour avant de se tourner à moitié vers les tables de jeu, désignant du regard celui qu’elle devinait être Dario.

- Comme avec ce type par exemple ?


Elle hocha simplement la tête, son sourire se fana quelque peu ; elle n’avait pas besoin d’ajouter quoi que ce soit pour qu’il comprenne, sans doute l’avait-il compris dès l’instant où elle s’était permise de le prendre en otage d’un simple regard. Peut-être même qu’il l’avait compris bien avant. Il semblait observateur, le genre à détecter qu’une situation pouvait dégénérer rapidement alors qu’il se trouvait à l’autre bout d’une pièce, sans possibilité d’avoir autre chose que des expressions et des gestes à se mettre sous la dent.

Mais la perspective de finir avec Dario dans son lit s’étant envolée – au moins pour cette nuit  - elle n’avait plus aucune raison de broyer du noir. Elle s’amusa cependant à rendre son expression plus grave, tout en portant son regard au loin.

- Je m’inquiète… Il fronça aussitôt les sourcils et son sourire disparut lui aussi.
- À propos de quoi ?
- Ton blanc destrier… Tu l’as laissé à l’entrée, hein ? On l’a sûrement volé à l’heure qu’il est tu sais, taquina t-elle en lui lançant soudain un grand sourire en coin.
- Mon blanc... ? Ah…, se détendit-il en comprenant qu’elle plaisantait. Je pense que tu me prends pour quelque chose que je ne suis pas.

Une réponse bien sérieuse à une taquinerie pourtant légère.

- Tu crois ?

Pensait-il sincèrement qu’une fille comme elle croyait encore aux histoires de preux chevaliers ? Aucun conte de ce genre ne l’avait bercée dans son enfance. Peut-être que certaines des résidentes – Fiona en tête – rêvaient qu’un jour un homme aisé franchisse les portes de l’établissement et tombe follement amoureux d’elles, les délivrant d’une vie de misère pour faire d’elles des honnêtes femmes sans histoire, mais Lyhn avait d’autres rêves. Madame Viviane avait toujours dit d’elle – sans qu’elle ne soit jamais présente pour l’entendre – qu’elle était la plus jeune mais la moins sotte de ses filles, sans doute parce qu’elle avait appris à ne jamais rien attendre des autres, ou jamais trop.

Peut-être qu’elle se fourvoyait, mais elle avait l’impression que cette réponse était une incitation à ne pas perdre les précieuses minutes de son temps libre à l’écouter parler, comme s’il avait peur qu’elle se sente redevable après la curieuse générosité dont il venait de faire preuve. Et Lyhn n’était pas du genre à vouloir à tout prix contrarier quelqu’un qui, pour une fois, se montrait désintéressé. Elle se leva soudain de son tabouret pour se hisser avec grâce sur le comptoir où elle resta assise un moment, le temps d’ôter les talons qu’elle avait aux pieds - le genre de chaussures qui allongeaient les jambes mais qui devenaient un supplice à porter après quelques heures. Elle ne dansait jamais mieux que sans elles.

- Fais attention à ton verre.

Elle accompagna ce conseil d’un clin d’œil avant de se redresser de toute sa hauteur ; ce fut comme un signal pour tous les piliers de comptoir qui levèrent aussitôt leurs nez de leurs consommations. Elle interpella les musiciens dans le coin de la pièce et leur demanda de l’accompagner pour cette fin de soirée. La musique qui s’éleva dans la salle commune fut plus lente qu’à l’accoutumée, et si l’on pouvait penser que c’était par souci de ne pas réveiller tous ceux qui s’étaient mis à somnoler devant leurs verres, c’était davantage les mouvements de la danseuse qui leur imposaient ce rythme.

Lyhn dansait cette fois pour elle et juste pour elle. Finies les œillades langoureuses à son public, elle n’était plus là pour exciter leur imaginaire ou pour éveiller quelconque fantasme, même si elle n’avait rien perdu de sa sensualité. Hypnotisés par le mouvement de ses chevilles qui esquivaient habilement chaque obstacle sur son chemin, aucun client ne sembla s’offusquer du peu d’intérêt que la belle avait pour eux.

- Alors, c’est réglé ?

L’Ascanien n’eut même pas besoin de tourner le regard vers celui qui s’était installé près de lui pour savoir de qui il s’agissait. Il n’était pas bien grand, pas bien musclé - pas bien impressionnant en somme - et les tatouages qu'il arborait sur l'ensemble de son corps semblaient être une façon de compenser cette absence de traits physiques marqués.

- Désolé Dario, quelqu’un a été plus rapide, répondit nonchalamment Madame Vivianne.
- Comment ça ? Toute la nuit ? C’est qui ?

Madame Vivianne haussa les épaules, comme si la question n’avait que peu d’importance. Le dénommé Dario posa d’un air boudeur son verre à moitié vide sur le comptoir, levant les yeux vers celle qui l’avait visiblement obsédé une grande partie de la soirée. Il prit un air presque mesquin lorsqu’il tenta par deux fois de la faire trébucher sur son verre alors qu’elle passait près de lui, sans grand succès. Le fait qu’elle ne fasse pas du tout attention à lui – pire, qu’elle n’ait même pas remarqué qu’il était là – sembla attiser davantage sa colère. N’y tenant plus, il finit par lui-même renverser son propre verre à ses pieds.

- Hey ! Tu pourrais faire attention !

Le bris de verre arracha la danseuse à sa transe et elle finit par lui accorder le regard qu’il attendait tant. Lorsqu’elle ouvrit la bouche, cependant, ce ne fut pas pour se confondre en excuse. D’ailleurs, il y avait dans son regard ce soir-là quelque chose qui ne plut pas du tout à Dario : une sorte de mépris à peine contenu. Se sentait-elle pousser des ailes maintenant qu’elle savait qu’il ne pouvait rien contre elle ? Ou alors peut-être qu’elle en avait juste assez de sourire à des ordures ?

- Je n’ai pas touché ton verre.
- Oh si, tu l’as touché, et tu l’as même renversé par terre. T’es pas censée proposer un dédommagement dans ces cas-là ? Je suis beau prince, un simple baiser fera l’affaire.

Il lui fit signe de descendre de son perchoir ; à son grand étonnement, Lyhn obtempéra, mais simplement pour s’asseoir sur le comptoir, juste devant lui. Elle n’avait pas véritablement l’intention de le provoquer mais l’idée de s’excuser – pire encore, de dédommager cet idiot – pour quelque chose qu’elle n’avait pas commis l’emplissait de colère.

- Je ne l’ai même pas effleuré.

- Madame Vivianne devrait serrer la vis avec toi. Contrarier un client, c’est pas bon pour les affaires.
- Peut-être.

Elle se pencha vers lui et pendant une seconde il crut qu’il avait gagné et qu’elle allait enfin lui donner son baiser.

- Mais j’ai fini mon service il y a une heure.

Elle glissa du comptoir et attrapa ses chaussures. Elle n’avait plus envie de danser, elle n’avait plus envie de rester ici. Et puis elle était libre. Une main la retint par l’épaule, la même épaule qu’on avait failli lui démettre quelques heures plus tôt. Elle grimaça.

- Attention ma jolie, tu devrais peut-être changer de ton avec moi. Ce soir, tu es libre, mais ce sera pas toujours le cas.


Il n’ajouta rien et la laissa filer, il n’y avait de toute façon rien à ajouter : il avait raison. Peut-être qu’elle se mordrait les doigts de ne pas avoir fait semblant, de ne pas avoir baissé les yeux, de ne pas lui avoir donné ce baiser – qu’est-ce qu’un simple baiser lorsque l’on est payée pour écarter les cuisses après tout ? Mais ça avait été plus fort qu’elle, elle aurait tout le temps de regretter sa témérité plus tard. Son attention se porta sur le seul loup qui aurait le droit de dormir dans ses draps cette nuit et lui glissa à l’oreille avant de disparaître à l’étage :

- Troisième porte à gauche au bout du couloir. Tu es le bienvenu quand tu veux.


Quand Dario comprit que celui qui lui avait grillé la place était à côté de lui depuis tout ce temps, il se fendit d’un éclat de rire avant de lui donner une tape sur l’épaule.

- Quand tu seras là-haut avec cette pute, n’oublie pas de lui rappeler qui commande.


Et sans un mot de plus, il s’éloigna.
Daren Van Baelsar
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Ven 4 Fév - 13:26
Voir la jeune femme danser, libérée de toute contrainte professionnelle procura un sentiment de satisfaction que Daren ne s'expliquait pas vraiment. Peut-être était-ce le simple fait de lui offrir un semblant de liberté au milieu de toute cette débauche, ou bien l'idée qu'elle ne partagerait pas sa chambrée en compagnie de ce fameux Dario, ou peut-être un peu des deux. Au lieu de se lancer dans de profondes réflexions pour chercher des justifications, il préféra s’égarer à contempler Lyhn danser, s’attardant tout particulièrement sur cet air qu'elle arborait et qui témoignait de son moment d'évasion, aussi éphémère soit-il. Sa gestuelle était différente de tout à l'heure, elle dansait pour elle, et pour personne d'autre. Pour autant, la clientèle le long du bar ne semblait pas s'en plaindre, bien qu'ils semblaient - Contrairement à tout à l’heure - plus hypnotisés qu'aguichés par la danse de la jeune femme.

Sans pour autant se sentir affublé des traits du chevalier servant qu'elle s'était amusé à lui donner, Daren avait au moins l'impression d'avoir pu faire plaisir à cette jeune femme. Pourquoi l'avoir fait ? Impossible à dire, peut-être essayait-il instinctivement de se donner bonne conscience, car après tout, il avait payé pour partager la couche de cette femme, et même si elle n'avait pas voulu, il aurait eu le pouvoir de passer outre ce refus. Certes, ce n'était pas son genre, bien au contraire, mais d'autres étaient capables de le faire.

Ironiquement, il réalisa qu'il était souvent plus simple de faire plaisir à une inconnue comme il venait de le faire plutôt qu'à sa propre famille. Un fugace sentiment de peine traversa son regard, comme à chaque fois qu'il pensait à son foyer. Ces pensées l'amenaient irrémédiablement à un sentiment qu'il détestait, cette impression d'avoir perdu les clés de chez lui. Une nouvelle gorgée vint balayer ses songes et le contenu de son verre tandis que son regard se perdait un peu plus dans les mouvements hypnotiques de Lyhn.

Lorsque Dario arriva à sa hauteur, Daren sut immédiatement que les choses n'allaient pas bien se passer. Il ne se détourna pas de Lyhn mais tendit l'oreille pour entendre vaguement Madame Vivianne lui adresser un refus. Il esquissa un sourire très discret qui disparut aussi vite. Il faillit se manifester lorsque l'homme demanda l'identité de celui qui l'avait devancé, mais rien ne justifiait un tel geste, si ce n'est de la bêtise pure. Il ne bougea pas non plus lorsque Dario posa son regard lubrique sur elle. Du coin de l'œil, il le vit faire son petit manège pour qu'elle butte dans son verre. Il ne connaissait pas la rétribution accordée aux dommages éventuelles d'un pas de danse mal avisé, mais il put comprendre assez rapidement que Dario cherchait à jouer les trublions en l'accusant d'avoir renversé son verre. Bien sur, une raclure comme lui ne tolérait, si bien qu'il renversa son verre lui même pour ensuite pleurnicher comme un gamin. A cet instant, Daren envisagea une embrassade entre la tête de ce type et le bord du comptoir, puis il se rappela des règles en vigueur, à savoir les bagarres interdites, susceptibles d'expulsion définitive. Il se ravisa et garda cette option comme un fantasme irréalisable.

Plus il la provoquait, plus l'Ascanien s'agaçait, mais il ne devait pas être le seul à connaître les règles ici, étant donné que l'autre semblait habitué de l'endroit. Ainsi, il ne se passerai probablement rien entre eux. Daren se tenait prêt malgré tout, mais la discussion semblait être gérée d’une main de maître par une Lyhn libérée de ses obligations. En revanche, il comprit également qu'elle ne danserait plus ici, sûrement en grande partie à cause de Dario. L'Ascanien passa la main dans sa barbe en observant l'échange jusqu'au bout. La voir grimacer quand il la prit par l'épaule faillit être le geste de trop pour lui, mais il resta impassible, se répétant une nouvelle fois le règlement. La menace était claire cependant...Et il ne pourrait rien contre le fait que Dario s'offre un jour ou l'autre une nuit avec elle. Daren soupira profondément de frustration avant qu'elle ne lui chuchote l'emplacement de sa chambre. La réaction de la petite frappe ne traîna pas et Daren posa son regard sur lui.

- Quand tu seras là-haut avec cette pute, n’oublie pas de lui rappeler qui commande.
- Jusqu'à preuve du contraire, j'ai payé pour faire ce que je veux, pas ce que tu veux.Dit-il assez fort pour que le trublion s'arrête et se retourne vers lui.
- Hm? Tu vas pas me dire que t'es du genre à faire dans le sentiment avec une catin quand même ? Il poussa un rire railleur avant de reprendre une expression se voulant menaçante. Tu vas me faire regretter d'avoir été devancé, parce qu'elle en veut crois moi.

Aussi chétif qu'était l'homme, l'assurance qu'il exprimait dans son attitude couplée à ses tatouages lui donnant un air mauvais et à ses semblant de sous fifre gardant un œil discret sur lui donnaient en effet peu envie d'en découdre. Il impressionnait en quelque sorte. Mais ce genre de petit jeu ne prenait pas avec Daren qui partait simplement du principe qu'il fallait se méfier de n'importe qui, rendant complètement insipide toute tentative d'intimidation. Calme et tempéré, l'Ascanien fixait Dario sans ciller, une attitude que l'homme n'était pas habitué à voir visiblement, car il tentait instinctivement de se redresser de toute sa hauteur.

- C'est pas elle qu'en veux,, c'est juste toi qui crève la dalle au coin d'un comptoir.
- Tu dis ça, mais tu viens de payer nan? Dit-il en faisant deux pas pour s'approcher de Daren, se voulant toujours plus menaçant et convaincu d’avoir trouvé un argument de choc..
- Exact, moi je crèverai pas la dalle ce soir.

La provocation était aussi nette qu'inutile, mais c'était le seul moyen qu'avait trouvé Daren pour tempérer son envie renouvelée d'un baiser entre Dario et le comptoir. Malgré ça, il ne bougea pas, affichant même une certaine assurance face à la petite frappe qui se donnait des airs de grande personne.

- J'aime pas trop ta façon de me parler. Tu joues les durs pour impressionner quelqu'un ? Parce que si c'est le cas, tu devrais changer de partenaire.
- C'est une menace ? Dit-il en esquissant un sourire qui déstabilisa Dario pendant une seconde.
- Peut-être bien ouais.

Dario était à moins d'un mètre de Daren qui s'était tourné sur sa chaise pour lui faire face. Il ne fallait pas grand-chose de plus pour que tout ça dégénère. Mais à ce moment-là, ce n'était pas l'idée d'une confrontation qui se jouait dans la tête de l'Ascanien. Contrairement aux apparences, Daren se focalisait sur chaque geste et chaque détail du visage de Dario, imprimant au plus profond de son esprit le visage de cet homme, détaillant tout ce qui pouvait l'être, comme cette marque sur l'arcade sourcilière, probablement le vestige d'une entaille et où la pilosité se faisait absente. Chaque tatouage devenait un trait distinctif, tout comme l'était devenu sa coiffure, son nez, ses yeux.

- Tu voudrais pas te faire virer d'ici définitivement parce qu'on se serait mit sur la gueule on est d'accord ?
- On peut sortir si tu veux, il fait bon dehors, on va discuter toi et moi.
- Toi et moi et tes potes qui nous matte comme s'ils attendaient que tu me prenne dans tes bras tu veux dire ? Nan merci, je vais rester ici.
- C'est bien ce que je pensais, tout dans la gueule hein? Je comprends pourquoi tu as du mal à pas tomber amoureux d'une pute alors. Mais t'inquiète pas, je m'en occuperai plus tard, de lui montrer qui commande.

Ce dernier point attisa quelque peu la colère de Daren, mais il ne répliqua rien, laissant cette petite victoire à Dario qui fit volte-face en se marrant, faisant des gestes qui provoquaient l'hilarité de ses camarades. Daren reprit sa pipe et la ralluma tranquillement en s'accoudant au comptoir. Désormais, il n'oublierai plus le visage de ce sale gosse.

Voyant que l'heure avançait et qu'il avait probablement fait choux blanc quant à sa mission, Daren poussa un grognement insatisfait tout en se levant. Il n'était pas venu pour passer la nuit ici, mais voilà qu'il s'était retrouvé à payer. Providence lui en était témoin, il s’agissait d’un drôle de concours de circonstance…Bien entendu, il pouvait encore partir, mais l'idée de rentrer chez lui à cet instant lui paraissait peu envisageable. Cette fois encore, il préférerait la fuite. Tout en se dirigeant vers l'escalier, il croisa Fiona qui lui témoigna un peu sa déception qu'il n'ait pas demandé à passer la nuit avec elle. Foncièrement gentille pour autant, elle ne sembla pas s'en offusquer et le remercia même d'avoir devancé Dario pour s'offrir la compagnie de "la petite", un surnom qui ne venait visiblement pas de leur faible différence d'âge mais plutôt de l'ancienneté.

Toujours lancé dans sa petite conversation avec la jeune femme, l'attention de Daren fut captée au-dessus de l'épaule de celle-ci quand un homme apparut en train de descendre les marches. Un homme dont la description collait parfaitement à celle de l'individu qu'il recherchait. Pendant un instant, son sang ne fit qu'un tour, le rappelant aux raisons qui l'avaient conduit ici. Il n'avait pas spécialement prévu d'agir, il s'était simplement rendu ici pour faire une reconnaissance et trouver sa cible. Son regard ne s'attarda pas sur l'individu avant qu'il ne passe devant eux, histoire de ne pas paraître suspicieux, mais cette brève observation était suffisante pour que Daren reconnaisse bel et bien la description qui lui avait été faite.

L'homme avait une certaine stature, se tenant bien droit dans sa démarche, dénotant presque avec le reste de la clientèle ici. Les cheveux courts et tirés en arrière, il laissait apparaître un visage aux traits ciselés et aux joues creuses. Ses yeux sombres et calculateurs étaient surmontés de sourcils épais qui lui donnaient des airs mauvais. Rasé de près, son visage était soigné, mais une cicatrice partant de son œil droit et descendant sur sa joue venait créer une imperfection notable qui confirmait sans en doute les soupçons de Daren. Il l'observa à nouveau lorsque celui-ci fut dos à eux, s'éloignant dans la salle. Très vite rejoint par deux hommes plus grands et larges que lui, l'homme alla s'installer dans un coin de salle, ignorant quiconque croisait son chemin.

Daren fut tenté de retourner lui aussi en salle pour observer un peu plus l'individu, histoire de ne pas rater une information cruciale, mais il se devait d'être prudent. Ce soir, il était tout seul et, officiellement, il ne travaillait pas. Au moins, ses doutes étaient confirmés, sa cible se rendait à la Belle-de-Nuit. Son attention fut soudainement happée par un mouvement de main qui passa devant son visage. Fiona le regardait, souriante mais surprise de le voir se perdre dans ses pensées en suivant ce type de regard.

- Tu as vu un fantôme ? Lui dit-elle avec un air un brin moqueur ?
- Hm? Oh non, j'ai cru voir une vieille connaissance, mais je me suis fourvoyé.
- Ton grand âge te rattrape on dirait, voilà que ta mémoire te fait défaut...

Daren afficha un sourire sincère à Fiona. Il n'était pas insensible à la gentillesse de cette femme, ni à ses charme d'ailleurs. Il n'était pas rare qu'elle le taquine sur son âge, et elle ne dérogeait pas à cette habitude ce soir encore. Bien sûr, son mensonge passa inaperçu, car non, Daren n'oubliait jamais un visage.

- Si même ça je commence à le perdre, tout porte à croire que je suis fichu.
- Sois pas trop dur avec toi-même, au moins tu as encore un beau cheval blanc. Dit-elle en lui faisant un clin d'œil.

L'Ascanien grommela sans agressivité, s'étaient-elles toutes passé le mot concernant cette histoire de chevalier servant ? Fiona s'éprit d'un petit rire qu'elle dissimula timidement derrière sa main, amusée de le voir râler. Elle le laissa ensuite seule pour retourner travailler et éviter de se faire rosser par Madame Vivianne pour avoir papillonné avec le client d'une autre.

Daren regarda l'escalier un instant avant de s'y engager.

Une autre ambiance régnait à l'étage, dans ce couloir bordé de portes, toutes donnant sur des chambres. L'odeur parfumée qui s'échappait de certaines pièces dont la porte était entrebâillée se mélangeait à celle du vieux bois qui constituait l'ensemble de l'étage. Sous chaque pas, un craquement sonore se faisait entendre, supplique d'une boiserie maltraitée et en manque d'entretien. Derrière certaines portes closes, on pouvait entendre des bruits et gémissements d'ébats en tout genre. Il arrivait plus souvent d'entendre la voix d'un client que celle d'une des résidentes, car bien sur nombreux étaient ceux qui aimaient exprimer leur contentement face à ses femmes, toutes offertes qu'elles étaient à eux en leur offrant ce factice sentiment de puissance qu’ils étaient nombreux à rechercher. Traverser ce couloir était toujours un exercice bien particulier, notamment pour Daren qui sentait systématiquement la culpabilité se mêler à ses motivations. Cela ne l'arrêtait pas pour autant, mais l'amertume qui s'emparait de lui apparaissait assez nettement sur son visage, du moins pendant les premières minutes...

Ce soir-là en revanche, il sentait une satisfaction supplémentaire à avoir repéré sa cible, certains dès lors qu'il n'était pas venu simplement avec une fausse justification pour s'enquérir de quelques compagnies féminines. Comme si cela suffisait à balayer sa culpabilité, il s'arrêta devant la porte que lui avait désignée Lyhn et posa la main sur la poignée. Il resta ainsi quelques secondes, pensant soudainement à cette seconde danse qu'il l'avait vu effectuer, réalisant qu'il suffisait d'un tout petit rien pour que la jeune femme occupe ses pensées. L'instant d'après, il enclencha la poignée pour ouvrir la porte et entrer dans la chambre de Lyhn.
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Mar 15 Fév - 1:53
La nuit les langues se délient  Efdfa810

La pièce dans laquelle l’Ascanien pénétra était à l’image de son occupante et de son sourire, réconfortante, bien loin de l’image que l’on pourrait se faire d’une sordide chambre de prostituée des bas quartiers. Si la misère était parfois cachée sous de vieilles tentures élimées ou quelques tapis dont la couleur chatoyante avait fini par s’estomper avec le temps, Lyhn semblait avoir fait le choix de laisser cet endroit respirer et d’assumer chaque petit – et moins petit – défaut de la pièce. Contrairement à beaucoup d’autres chambres à l’étage, l’air n’était pas surchargé de volutes opaques d’encens aux odeurs entêtantes ; la danseuse leur avait préféré la subtilité des effluves d’une fleur qu’elle entretenait avec le plus grand soin et qu’elle avait posé près de son lit.

Le vieux plancher grinçait ici bien plus qu’ailleurs, ou peut-être que l’on y prêtait davantage attention dans cette chambre car elle était la plus éloignée de l’agitation de la salle commune. Lyhn avait hérité de la chambre la plus spacieuse et la plus calme du bordel mais aussi de la plus délabrée, comme en témoignaient les quelques gouttes d’eau qui tombaient dans la bassine qu’elle avait posé dans un coin de la pièce pour recueillir la pluie que la toiture ne semblait plus vouloir retenir. Dès que l’on levait le nez en l’air, cependant, l’état de la charpente passait immédiatement au second plan ; accrochées aux poutres, quelques robes et voiles aux multiples couleurs focalisaient subitement toute l’attention. Lorsque Lyhn ouvrait les fenêtres de sa chambre en grand, on pouvait presque s’imaginer regarder sous les jupes d’une multitudes de danseuses qui tournoyaient au plafond.

Madame Vivianne leur laissait une relative liberté dans l’aménagement de leurs chambres et la jeune femme avait réussi à faire de cet endroit un cocon dans lequel elle se sentait bien ; malgré tout, elle n’avait jamais vraiment réussi à se sentir véritablement chez elle. La plupart des résidentes vivaient ici de façon permanente, mais Lyhn retournait auprès de sa famille dès qu’elle en avait l’occasion. Assise devant sa coiffeuse, elle releva les yeux vers son miroir terni lorsqu’elle vit la porte de sa chambre s’ouvrir doucement derrière elle et adressa un discret sourire au loup solitaire qui venait de pénétrer dans la pièce. Ce dernier semblait plus sombre qu’il ne l’était lorsqu’elle l’avait quitté un peu plus tôt.

- Je t’en prie, mets-toi à l’aise, lui dit-elle tandis qu’elle ôtait les boucles qu’elle avait aux oreilles, des breloques sans aucune valeur qu’elle avait empruntées à Annette, qui elle-même les avait sûrement empruntées à Mélodie. Le cadeau d’un client sans doute. Ici rien n’avait de valeur, il n’était pas rare que les filles s’empruntent mutuellement des bijoux et autres vêtements dès qu’elles étaient lassées de porter ce qu’elles avaient. Seule Prisca était toujours réticente à l’idée de partager.

Elle avait laissé tomber ses talons au sol dès qu’elle était arrivée et n’avait pas pris la peine de les ranger correctement, l’inconnu passa près d’eux pour s’installer dans le seul fauteuil de la pièce, boudant le lit qui semblait pourtant bien plus confortable. Lyhn en profita pour l’observer à la dérobée. Toutes sortes de clients avaient passé le pas de sa porte ses six derniers mois et elle commençait à deviner ce qui intéressait les uns et moins les autres, la façon de se comporter avec eux pour que les choses se passent au mieux.

Avec lui, elle n’était pas vraiment sûre de savoir sur quel pied danser, un comble pour une danseuse. Il était difficile à cerner, il l’était d’autant plus maintenant qu’un voile sombre avait recouvert son regard. Quel genre de loup était-il, après tout ? Voulait-il juste s’oublier dans les bras d’une femme, sans qu’aucun mot ne soit échangé ? Qu’elle se montre réservée et docile ? Préférait-il au contraire s’épancher de longues heures sur les malheurs de sa vie ? Elle sourit imperceptiblement, convaincue qu’il serait très difficile de lui arracher la moindre information trop personnelle.

Ce soir, elle serait ce qu’il avait besoin qu’elle soit, encore fallait-il savoir ce dont il avait besoin. Peut-être pas d’une catin servile, peut-être pas d’une confidente silencieuse, peut-être simplement d’une amante éperdue d’amour, une personne qui avait attendu son retour avec impatience et qui lui montrerait à quel point il lui avait manqué. Et si ce n’était pas ce qu’il était venu chercher ici, alors il pourrait toujours l’orienter ailleurs. Les clients qui recherchaient l’illusion de l’affection étaient toujours ravis de tomber entre ses mains, parce qu’elle aimait cette illusion presque autant qu’eux. La vie était déjà suffisamment laide, pourquoi l’enlaidir encore plus en cherchant désespérément à s’ancrer dans la réalité ?

Elle se redressa avec lenteur et s’avança vers lui, elle semblait encore plus naturelle dans l’intimité que derrière le comptoir ; avec la grâce qui caractérisait l’ensemble de ses mouvements, elle s’installa sur ses cuisses, une jambe de chaque côté, avant de relever légèrement de son index le chapeau qu’il avait gardé sur la tête. Elle constata non sans soulagement que son air sombre s’était quelque peu dissipé et elle lui sourit davantage.

- Est-ce que je peux enfin connaître ton nom ? Ou peut-être que tu préfères éviter les bavardages ?
- Pour le nom, on verra peut-être plus tard, répondit-il calmement, ça nous empêche pas de bavarder pour autant…

Il n’était pas pressé, elle ne l’était pas non plus, il avait payé pour la nuit après tout. Et pourtant elle commençait à se demander si elle ne lui avait pas forcé la main, en bas, et s’il ne retrouvait pas coincé ici avec la fille qui lui plaisait le moins – elle n’avait pas grand-chose en commun avec Fiona. Pauvre chevalier servant… Elle ôta doucement son chapeau du sommet de son crâne avant de l’envoyer sur le lit d’un délicat mouvement du poignet.

- J’ai l’impression que tu avais dans l’idée de rester au bar toute la nuit et que j’ai bouleversé tes plans.


Une de ses mains s’égara sur son torse, elle se stoppa juste avant de frôler sa peau.

- Hm, c'est vrai que je pensais rentrer chez moi ce soir, initialement, répondit-il après un moment de réflexion. Mais bon, on s'occupe très bien de mon cheval blanc à l'écurie juste en bas, alors pourquoi ne pas rester.

Cette dernière réplique la fit rire et elle remonta finalement sa main plus haut, jusque dans ses cheveux où elle laissa ses mèches soyeuses glisser entre ses doigts. Il n’avait pas grand-chose en commun avec les clients qu’elle avait d’habitude, lui non plus. Beaucoup trop soigné. Elle s’était rapproché de lui imperceptiblement ; plus proche, elle chuchotait presque pour s’adresser à lui.

- Si rien ne t’attend chez toi ce soir alors pourquoi pas en effet.

Le loup détourna le regard, un éclair de culpabilité passa dans ses yeux qu’il déporta sur la porte de la chambre, comme si l’idée de fuir lui traversait l’esprit. Seule la main qui caressait tendrement ses cheveux semblait le dissuader de partir. L’instant passa et Lyhn sentit une main se poser dans le creux de ses reins, sans pour autant exercer la moindre pression sur elle. Elle se rapprocha pourtant, le submergeant de son parfum ; ses cheveux à elle sentaient la cannelle.

- C'est… pas si simple que ça, mais ce qui m'attend… Il s’interrompit brusquement. Laissons tomber, je suis bien mieux ici.

Elle avait pris garde de ne pas poser de question sur ce qui l’attendait ou ce qui ne l’attendait plus chez lui, mais elle semblait avoir ravivé malgré elle des émotions qu’il ne souhaitait pas partager. La culpabilité dans son regard, cet échange écourté… Était-il veuf ? Elle n’avait aucune intention de lui faire de la peine, bien au contraire. Le sourire qu’elle lui adressa se fit plus bienveillant encore.

- D’accord, laissons tomber
, souffla t-elle sur ses lèvres.

La main qui caressait ses cheveux s’égara sur sa nuque, tandis que l’autre explorait sa peau sous le col de sa chemise. Doucement, elle posa ses lèvres contre les siennes, il ferma enfin les paupières et la main dans son dos remonta légèrement, comme une caresse. Elle prolongea le baiser un instant de trop avant de s’éloigner légèrement ; il n’y avait plus de peine dans son regard lorsqu’il ouvrit à nouveau ses yeux et la danseuse lui sourit de plus belle.

Non sans douceur, elle se releva avant de se détourner de lui. Qu’il eut ou non l’intention de dire quelque chose, l’idée sembla s’étioler tandis qu’elle laissa tomber sa robe rouge au sol juste devant lui, lui tournant toujours le dos. Ses sous-vêtements ne tardèrent pas à suivre et il ne resta plus que sa longue chevelure pour cacher partiellement son corps sur lequel les quelques bougies de la pièce projetaient des ombres hypnotisantes. Sans un mot, elle se saisit du chapeau qui trônait sur son lit et le plaça sur sa tête avant de s’asseoir confortablement sur le matelas, les bras tendus derrière elle pour lui offrir un maintien, dans une attitude à la fois terriblement séductrice et presque nonchalante.

- Dis-le.

Devant son air, son sourire devint taquin.

- Dis-le qu’il me va mieux qu’à toi.

Il était difficile de savoir si elle tentait de le faire sourire ou de le faire succomber. Une chose était sûre, ce mélange d’innocence et d’effronterie était bien capable de faire les deux en même temps.
Daren Van Baelsar
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Mer 16 Fév - 2:11
Aussi atypique qu'était l'endroit, Daren n'aurait pas eu le loisir de s'en plaindre, si tant est qu'il en ait eu envie. A vrai dire, les odeurs entêtantes d'encens n'avaient jamais été son fort, bien qu'il s'abstienne généralement d'en faire le commentaire auprès de la résidente. Fiona était à ce jour la seule au courant de cette préférence. Contrairement à d’habitude donc, l’Ascanien ressentait dès son entrée un début d’apaisement assez agréable. Bien entendu, tout cela était grandement renforcé par la présence de la jeune femme, capable de lui faire oublier la planche menaçant de s'affaisser près de la porte d'entrée ou l'inquiétante brèche dans le mur comblée par un drap. A cette instant, Lyhn semblait capable de rendre invisible tout ce qui se trouvait trop éloigné de sa personne.

L'épisodique culpabilité mise à part, Daren ne pouvait nier que chaque geste, chaque détail des attitudes de la courtisane provoquait en lui un désir impossible à ignorer. Au delà d'une aisance et d'une gestuelle érotiques et sensuelles, l'Ascanien sentait le contact de la main de la jeune femme passer de ses cheveux à sa nuque, provoquant une décharge semblant effacer sur son passage toute trace de crispation. Quand il ne fermait pas les yeux, c'était pour contempler le regard qu'elle lui adressait et pour se laisser hypnotiser encore un peu plus par le mouvement de ses lèvres lorsqu'elle parlait. Il nota également cette facilité qu'elle semblait avoir à s'adapter, lorsque l'Ascanien avait fui la direction que prenait leur conversation. Il ne se l'avouait pas à lui-même, mais c'était dans ce genre de moment que Daren s'autorisait un certain lâcher prise, face à cette inconnue qui lui donnait sans rechigner ce qu'il était venu chercher.

Le baiser ne fit qu'attiser cette douce passion capable de travestir la réalité plus encore. Bien sûr, cette dite réalité finirait par le rattraper, comme à chaque fois, mais à quoi bon se torturer face à cet instant où il lui était permis de faire semblant de ne plus faire partie du tableau de sa propre vie. Derrière ses yeux clos, l'Ascanien s'appropriait l'instant en vidant sa tête de tous ses songes pour laisser vagabonder son esprit sur les courbes de la danseuse qu'il devinait sous sa main caressant son dos. Les images de cette danse exécutée plus tôt dans la soirée lui revenait en tête, associant ses réminiscences à la douce chaleur de la peau de Lyhn qu'il sentait sous sa main. La passion qu'elle semblait déployer pour lui l'étonna presque, car ce n'était pas un trait si commun que ça chez les filles de joie.

Il l'observa s'éloigner de lui presque à regret, avant de réaliser avec quelle élégance elle l’amenait à la suivre du regard. Le contrôle qu'elle exerçait sur la situation était rythmé au son d'une musique dont elle semblait être la chef d'orchestre et que seul eux deux pouvaient entendre. Sans qu'il ne dise mot, voilà qu'elle se retrouvait nue sur le lit, uniquement coiffée de son chapeau, révélant la douceur de son corps et l'élégance de ses courbes à l'Ascanien qui, en silence, se laissa aller aux charmes du sourire qu'elle lui adressait entre deux phrases.

- Dis-le qu’il me va mieux qu’à toi.

Après un sourire en réponse à sa provocation, Daren se leva lentement et ôta lentement les boutons de sa chemise pour laisser sur le fauteuil désormais vide sa veste et sa chemise, dévoilant son corps marqué par une discipline physique rigoureuse et laissant apparaître quelques cicatrices notables. Toute trace de culpabilité semblait avoir définitivement déserté comme en témoignait son attitude. Aussi désireux qu'il était cependant de s'approcher de la jeune femme, il prenait son temps, savourant ce spectacle qu'elle lui offrait comme si tout cela était voué à disparaitre s'il clignait simplement des yeux. C'est seulement après avoir réduit précautionneusement la distance qui le séparait du lit qu'il prit la parole.

- Il te va mieux qu'à moi, bien qu'il te rende trop habillée à mon goût.

Le ton qu'il employait soulignait assez bien la plaisanterie, autant que le niveau de détente dans lequel il se trouvait actuellement. De ce qu'il en avait vu jusque là, Lyhn adoptait un comportement qui lui donnait simplement envie de rentrer dans son jeu et de se laisser aller à vivre cette nouvelle parenthèse dans sa vie. Et si il n'avait pas encore esquissé un mouvement vers elle, c'est avec un regard témoignant son désir qu'il l'observa se mettre à genoux sur le lit, à hauteur de lui, lui indiquant d'un regard à la fois provocateur et sensuel qu'il n'avait qu'à lui ôter de la tête, s'il le souhaitait.

Avec soin, l'Ascanien retira le chapeau sans que la chevelure de la jeune femme ne soit impliquée dans le mouvement. Sans détourner une seule seconde le regard de celui de la jeune femme, il prit à nouveau la parole.

- Ce serait dommage de faire de l'ombre à un si joli visage. Dit-il en laissant tomber le chapeau sur le côté

Bien que son sourire ait disparu - ce qui laissa d'abord penser à Daren qu'il aurait mieux fait de se taire -, le visage de Lyhn semblait apaisé. Elle plongea ses yeux dans ceux de l'Ascanien avant de lui répondre.

- Je peux te poser une question ?
- Bien sûr. Répondit-il, un peu surpris de la voir demander la permission pour ça.
- Personne n'a jamais donné d'argent juste pour que je puisse faire ce que je veux. Pourquoi l'avoir fait ?

Question évidemment pertinente, Daren fut d'abord tenté de dire qu'il n'en savait rien et qu'il s'était laissé guider par ses envies. Il y avait bien évidemment un fond de vérité dans cette idée, mais la réalité présentait d'autres points que l'Ascanien n'avait pas vraiment envie de dissimuler derrière une réponse mystérieuse ou alambiquée. Parfois, il était bon de rester sincère, et Daren n'avait pas la volonté de mentir. Il soutint le regard et esquissa un léger sourire discret tandis que sa main resta à effleurer le cou de la jeune femme avec douceur.

- Quand je t'ai vu danser, tu avais l'air plus heureuse, plus libre. Je me suis dit que peut-être tu apprécierais d'avoir un supplément de liberté, au moins le temps d'un soir.

Il se garda cependant de dire qu'il aurait recommencé sans hésiter si cela pouvait lui procurer un semblant de joie. Bien qu'il ait l'intime conviction de l'avoir fait pour elle, il ne pouvait se détacher de cette idée qu'il se mentait une nouvelle fois à lui-même et qu'il essayait simplement de s'acheter une conscience. Depuis quelques années maintenant, il avait développé cette mauvaise manie de prendre à revers ses propres décisions pour leur donner un aspect condamnable, une attitude qu'il devait à son quotidien familial qui le poussait à toujours questionner ses choix. S'il prenait le temps de simplement s'écouter de temps en temps, peut-être serait-il capable de comprendre que ses propres intentions n'étaient pas mauvaises.

La jeune femme caressa brièvement le dos de la main logée dans son cou brièvement avant de finalement l'attraper doucement et embrasser les doigts de l'Ascanien.

- Merci.

Ce simple remerciement fit naître de la satisfaction chez lui. Il avait beau savoir que tout ce qui se trouvait autour de lui était le résultat de ses dépenses excessives de la soirée, avoir l'impression de pouvoir apporter quelque chose de plus à la danseuse qu'un simple paiement le contentait dans ses choix et dans sa légitimité à partager cette chambre ce soir. La douceur dont elle faisait preuve semblait suffisamment sincère pour que la réalité continue de se travestir, suffisamment pour que les dernières traces d'amertume susceptibles de lui nouer le ventre disparaisse définitivement. Celle qui se tenait devant lui serait ce soir une amante pour lui, et rien d'autre.

D'abord silencieux, Daren vint laisser glisser son autre main le long du bras de la danseuse, avant de pousser un profond soupir, comme s'il s'apprêtait à dire quelque chose qu'il n'envisageait pas de dire quelques secondes plus tôt.

- Daren. C'est mon nom.

Effectivement, ce n'est pas quelque chose qu'il avait envisagé dire, et il questionna intérieurement ce choix à nouveau. Donner son vrai nom à cette femme était aussi périlleux qu'idiot. Mais face aux yeux qu'elle posait sur lui et à ces attitudes qu'elle adoptait, il ne s'était pas sentit le cœur à mentir sur son identité, une erreur qu'il noyait volontiers avec sa culpabilité et qu'il aurait bien le temps de ruminer plus tard. Elle lui adressa un sourire, puis posa les mains sur son torse avant de les remonter lentement sur ses épaules. Un frisson apparut sur les bras de l'Ascanien qui ferma les yeux quelques secondes, guidé simplement par ses sens.

- Enchantée, Daren.

Elle ponctua sa phrase par un baiser qui entraina Daren à se laisser basculer lentement sur le lit, entrainant à son tour la jeune femme avec lui dans cette nuit d'égarement, pendant laquelle il se laisserai bercer dans l'illusion que son quotidien n'était pas si terne qu'il le pensait. Difficile d'oublier qu'il payait pour obtenir ce moment, impossible d'occulter totalement que cette relation était aussi artificielle qu'à sens unique. Pourtant, Daren se l'autorisait quand même. Après tout, se mentir à soi-même était toujours plus aisé en compagnie d'une personne capable d'exaucer ses désirs en se comportant comme une amante éprise de passion.

Quitte à regretter le lendemain, l'Ascanien dissipa les dernières retenues qui l'animaient, explorant avec une passion non dissimulée le corps dénudé de son amante d'un soir. S'il témoignait un évident désir, il n'en était pour autant pas brusque et chacun de ses gestes semblait garder une certaine mesure, malgré cette différence notable de force physique entre les deux protagonistes. Chaque témoignage d'affection et de désir qu'il engageait trouvait immédiatement une réponse chez la danseuse qui semblait se laisser aller autant que lui dans cet échange. En un sens, sa façon de se mouvoir, ses caresses et son don de soi donnaient l'impression qu'elle continuait de danser, à ses côtés cette fois, et rien que pour lui. Toujours prompt à ne pas se concentrer uniquement sur lui, Daren prenait le temps de mesurer les réactions de sa partenaire, espérant inconsciemment que le plaisir qu'il pouvait ressentir n'était pas sens unique.

La nuit reprit finalement ses droits sur leurs ébats terminés. Daren fut surpris de constater que Lyhn resta un long moment sur lui, immobile. Le silence qui s'était installé entre eux devint presque religieux tant ils semblèrent chacun s'en délecter, un peu comme s'il n'y avait rien à ajouter, de peur que cette réalité alternée ne disparaisse un peu trop vite. Légère comme elle était, l'Ascanien ne bougea pas non plus, profitant de cette proximité toujours présente et qu'il s'attendait à voir disparaître dès lors que l'heure de dormir serait venue. Distraitement, la main de l'Ascanien caressait le dos de la danseuse tandis que ses yeux observaient les ombres du plafond. Ce fut lorsqu'il la vit s'endormir que le sommeil vint finalement l'emporter à son tour, avant même que les regrets ne commencent à ternir cette nuit de transgression.

Très tôt dans la matinée, un craquement de plancher alerta l'attention de Daren qui ouvrit un œil. Sentant que la jeune femme ne reposait plus sur lui, il tourna la tête sur le côté pour distinguer sa silhouette dans l'obscurité d'un matin qui venait à peine de débuter. Il se laissa le temps d'émerger tandis qu'elle semblait reprendre ses vêtements au sol pour les déposer dans un coin et s'enquérir d'une autre tenue. Il se rappela alors d'un point important qu'il n'était pas bon de négliger, un point qui commença à faire naître l'amertume du retour à la réalité dans sa tête.

- Tu es la seule à savoir que je m'appelle Daren ici...Et j'aimerai que ça reste ainsi.

Difficile d'imposer une telle chose à quelqu'un, d'autant qu'il n'en avait pas la légitimité. La voix légèrement enrouée du réveil donnait une tonalité plus grave à son élocution, et si la phrase pouvait sonner autoritaire de prime abord, elle trahissait surtout une profonde lassitude, voire même une certaine tristesse. Il n'avait pu s'empêcher d'être honnête avec elle, et ça au moins il ne le regrettait pas. En revanche, la simple idée de reprendre le cours de sa vie alors qu'il venait de passer à nouveau la nuit entière hors du domicile familial l'emplissait de frustration. Bien qu'elle n'ait rien demandé, il hésita malgré tout à lui donner plus d'explications, mais il se rappela également qu'elle n'était plus obligée de se trouver ici avec lui, et que cela ne servirai probablement à rien de s'éterniser.

- Le nom sous lequel tout le monde me connaît ici est Thancred.

Il n'était sûrement pas le premier à employer un faux nom, ni le dernier. Révéler sa véritable identité n'était pas si grave pour lui en soit. Ce qui le poussait en revanche à se dire que ce n'était pas une très bonne idée de l'avoir fait était qu'il ne souhaitait pas que, pour une raison ou une autre, quelqu'un cherche à remonter une piste vers lui en passant par une de ses filles. Il n'était généralement pas connu de ceux qu'il finissait par mettre derrière les barreaux, mais il suffirait d'une fois pour que les choses puissent mal tourner.

Daren se redressa un instant. Il savait qu'il pouvait encore rester quelques heures dans cette chambre s'il le souhaitait, mais il ne trainait que très rarement dans l'établissement, comme s'il se devait de mettre de la distance entre le passé et le présent. Il se massa à côté de la nuque pour chasser les crispations de la nuit, tout en prenant à nouveau la parole.

- Merci, pour cette nuit. Dit-il finalement d'une voix ne laissant aucun doute sur sa sincérité.

En soit, il ne put se mentir à lui-même lorsqu’il réalisa qu’il n’avait pas vraiment envie qu’elle parte.
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Ven 18 Fév - 14:51
Elle se réveilla au son d’un cœur battant contre son oreille, dans la chaleur du corps sur lequel elle était restée toute la nuit. La partition qu’ils avaient joué ensemble n’avait connu aucune fausse note et la chorégraphie de leur danse semblait avoir été répétée des mois à l’avance ; si public il y avait eu, sans doute les aurait-il applaudis pour saluer cette représentation convaincante. Difficile de savoir à qui en revenait tout le mérite ; l’alchimie entre deux êtres existait ou n’existait pas mais ne pouvait pas s’inventer.

Cette nuit-là l’agneau s’était laissé dévorer par le loup sans aucune arrière-pensée et n’avait pas souhaité s’en éloigner même quand le calme était revenu dans la pièce. Une illusion ne pouvait être parfaite si l’on brisait l’instant de façon trop abrupte. À court de mots, elle était restée silencieuse un long moment, sensible aux douces caresses qui l’avaient bercée jusqu’aux portes du sommeil. Elle ne se souvenait pas d’un seul moment dans sa vie où on l’avait touchée de la sorte, encore moins après qu’elle ait donné ce qu’elle avait à donner.

Elle s’arracha à ses bras avec douceur pour ne pas le réveiller. Peut-être que disparaître avant qu’il ouvre les yeux était la meilleure façon de clore ce chapitre, même si elle en avait apprécié chaque seconde. C’était toujours difficile d’admettre que l’on avait pris du plaisir avec un client, comme si c’était une sorte d’interdit implicite, et l’exception de cette nuit ne deviendrait jamais la règle, elle le savait. Les illusions qui berçaient sa réalité avaient toujours un début et une fin, et ils venaient tout juste de l’atteindre.

Les vêtements qu’elle enfila n’avaient pas grand-chose en commun avec ce qu’elle avait porté la veille ; une vieille chemise un peu trop grande pour elle rentrée dans un pantalon élimé, des bottes qui avaient vu passer trop d’hiver… Madame Vivianne lui disait souvent qu’elle ne devait pas s’attendre à revoir ses clients de sitôt en apparaissant devant eux de la sorte, comme s’ils n’étaient pas capables de supporter le contraste entre le rêve qu’elle vendait ici la nuit et la réalité de son quotidien. Lyhn évitait de se mettre trop en valeur, parce qu’elle aimait qu’on lui fiche la paix lorsqu’elle sortait d’ici, parce qu’elle ne possédait rien de mieux que ce qu’elle avait sur le dos et parce que depuis ces six derniers mois elle était terrifiée à l’idée qu’un client la reconnaisse dans la rue alors que ses frères et sœurs étaient avec elle.

Heureusement ce matin, elle pouvait simplement s’éclipser et…

- Tu es la seule à savoir que je m'appelle Daren ici… Et j'aimerai que ça reste ainsi. […] Le nom sous lequel tout le monde me connaît ici est Thancred.

Elle releva les yeux vers le loup encore allongé dans ses draps, tandis qu’elle nouait ses cheveux en une longue tresse passée par dessus son épaule, à la fois troublée qu’il se soit réveillé avant qu’elle ne parte et surprise par l’aveu qu’il lui faisait. Elle se doutait bien que beaucoup de clients usaient d’un faux nom lorsqu’ils venaient ici mais alors pourquoi lui avoir révélé le sien s’il préférait rester anonyme entre ces murs ? Elle n’eut pas vraiment l’occasion de le questionner, car il enchaîna.

- Merci, pour cette nuit.

Cette fois, elle suspendit tout ce qu’elle était en train de faire et le fixa un long moment. Elle secoua légèrement la tête, ouvrit la bouche pour dire quelque chose… mais se ravisa. Il était curieux de remercier quelqu’un qui n’avait rien fait de plus que ce pourquoi on l’avait payé. Et puis elle comprit. Consciemment ou inconsciemment, il se comportait comme s’ils n’étaient que deux étrangers qui s’étaient plu dans un bar, et qui n’avaient pas voulu finir la soirée esseulés chacun dans leur coin. Lyhn lui sourit, un sourire aussi sincère que la déclaration qu’il venait de lui faire, et décida de poursuivre l’illusion tant qu’ils seraient ensemble dans cette pièce.

Doucement, elle vint s’asseoir près de lui, sur le lit. La pénombre ne lui permettait pas de le détailler autant qu’elle l’aurait souhaité mais elle arrivait pourtant à deviner chacune des cicatrices qui marquaient son torse, sans doute parce qu’elle les avait toutes étudiées de près la nuit dernière.

- Tu reviendras me voir danser ?

Il laissa planer un léger silence, tout en se perdant dans les ombres du plafond. Lorsqu’il posa à nouveau les yeux sur elle, un sourire discret apparut sur ses lèvres.

- Oui, je reviendrais très certainement.

Un peu trop heureuse à l’idée de le revoir, elle masqua son sourire en faisant mine de s’intéresser à autre chose qu’à lui. Après un moment elle ajouta :

- Quant à ton vrai nom, je peux l’oublier si c’est ce que tu souhaites.

- Il n'existe pas en dehors de cette chambre, mais je ne te forcerai pas à l'oublier.

Lyhn n’avait pas vraiment la mémoire des noms – les mauvaises langues disaient d’ailleurs qu’elle n’avait pas de mémoire du tout. À part les clients réguliers, il n’était pas rare qu’elle oublie totalement les visages ou les noms des hommes qui se succédaient dans cette chambre. Elle se raccrochait souvent à un détail anecdotique lorsqu’il était question de les décrire ou de les mentionner, si bien qu’ils se retrouvaient le plus souvent affublés d’un surnom plus ou moins inspiré. Daren ou Thancred, cela n’avait pas vraiment d’importance car il était et resterait pour elle le loup solitaire.

- Tu peux rester ici encore un moment même si je ne suis pas là, ça ne me dérange pas.
- Tu pars bien tôt, on t'attend quelque part ?

Un peu prise de court, elle hésita à répondre, ou plutôt elle hésita sur le degré de détails qu’elle était prête à donner.

- Je préfère rentrer chez moi avant que tout le monde se réveille, finit-elle par répondre.
- Tu as bien raison, si tu as un chez toi... Je devrais songer à faire de même.

Ils se contemplèrent un instant sans rien dire de plus. La danseuse et le loup semblaient avoir cela en commun qu’ils préféraient éviter de confronter deux mondes qui n’avaient rien à faire l’un avec l’autre, à la petite différence que le monde que s’apprêtait à rejoindre Lyhn semblait lui causer bien moins de peine qu’à lui. Il avait encore une fois ce regard, celui qu’elle avait vu lorsqu’il était entré dans cette chambre la veille au soir. Sans vraiment réfléchir, elle approcha la main de son visage, glissant ses doigts dans cette barbe bien taillée - un geste qu’elle avait l’impression d’avoir exécuté une centaine de fois la nuit dernière – et finit par se pencher pour poser ses lèvres sur sa joue. Il n’y avait rien de sensuel dans ce contact, à l’image des doigts qui avaient glissé sur la peau de son dos avant qu’elle ne s’endorme, juste de la tendresse.

- À bientôt, Daren, souffla t-elle doucement, appréciant une dernière fois les sonorités de son nom, comme si elle n’aurait peut-être plus jamais l’occasion de les entendre.

Elle s’éloigna en direction de la porte ; malgré son accoutrement, il était impossible de masquer totalement la grâce de la danseuse qu’elle était. Un dernier sourire lancé par dessus son épaule et elle referma finalement la porte sur elle, fermant également la parenthèse de leur rencontre.

La nuit les langues se délient  W69b

Elle arpenta les rues avec l’assurance de quelqu’un qui en connaissait le moindre recoin. Les malfrats qui sévissaient la nuit avaient regagné le trou putride qui leur servait de tanière et les honnêtes gens n’étaient pas encore sur la route d’un travail qui payait bien trop peu – pour ceux qui avaient la chance d’en avoir un. C’était dans ce genre de moment qu’elle parvenait à trouver le quartier qui l’avait vue grandir agréable, presque beau à sa façon, lorsque tout était en paix. Elle soupesa la bourse dans son escarcelle, ses gains de la nuit. Elle allait enfin pouvoir payer le loyer exorbitant qu’on lui extorquait chaque semaine pour faire vivre sa famille dans un taudis que personne dans les beaux quartiers ne qualifierait jamais de « logement », et il lui en resterait même un peu pour leur offrir de quoi manger décemment. Jamais elle n’aurait pu avoir ce « luxe » si elle s’était contenté de servir des bières dans une taverne miteuse.

Elle bifurqua brusquement dans une venelle qui n’avait plus aucun de ses pavés d’origine et ses bottes s’enfoncèrent dans la terre rendue boueuse et collante par la pluie qui s’était déversée toute la nuit. Il était inutile de penser à chausser quoi que ce soit qui ait un minimum de valeur ici. D’un coup de coude, elle délogea presque une porte latérale de ses gonds, la faisant pivoter suffisamment pour s’engouffrer dans le bâtiment. Chacun de ses pas soulevait la poussière qui maculait le vieux plancher branlant, et elle monta quatre à quatre les escaliers qui menaient au deuxième étage, comme si elle était pressée de retrouver la raison pour laquelle elle ne s’éternisait et ne s’éterniserait jamais à la Belle de Nuit le matin, pas même pour les beaux yeux d’un loup solitaire.

Elle ne frappa pas à la porte avant d’entrer, pour ne pas les réveiller. Le taudis qu’elle occupait avec ses frères et sœurs était vétuste, c’était le moins que l’on pouvait dire, pourtant c’était certainement le meilleur logement qu’ils n’avaient jamais eu. Le pièce principale était spacieuse, assez spacieuse pour qu’ils puissent tous y dormir sans se marcher dessus, mais c’était surtout la présence de la grande cheminée dans la pièce qui avait motivé Lyhn à accepter de payer aussi cher pour y vivre – nul doute qu’elle s’en féliciterait d’autant plus à l’arrivée des premières neiges.

Dans le canapé à moitié éventré dormait paisiblement le petit Ugo, dernier de la fratrie ; par terre, sur un vieux matelas juste à côté de lui, Louise marmonnait dans son sommeil. Elle lui avait probablement tenu la main une bonne partie de la nuit, comme elle le faisait souvent. Leur relation fusionnelle rappelait parfois à Lyhn sa propre relation avec Victor, de trois ans son cadet. Évidemment, ce dernier était absent, il l’était presque toujours ces derniers temps, et elle n’osait imaginer à quels dangers il s’exposait à traîner ainsi la nuit dans les rues.

Près de la fenêtre, genoux repliés contre sa poitrine, Rhys se balançait d’avant en arrière, claquant presque son crâne contre le mur derrière lui. Rhys avait toujours été différent de ses autres frères et sœurs, il avait une quinzaine d’années et pourtant il se comportait souvent comme s’il en avait beaucoup moins qu’Ugo. La faute à sa mère qui ne s’était pas privée de consommer drogues et alcools pendant toute la durée sa grossesse, lui avait-on dit. Aujourd’hui Rhys était entièrement dépendant de ses frères et sœurs pour survivre, car il était incapable de prendre soin de lui-même. Lyhn attrapa un coussin sur le canapé avant de le placer juste derrière sa tête, ébouriffant ses mèches brunes au passage.

- C’est moi, je suis rentrée, murmura t-elle pour ne pas réveiller les deux autres. Rhys releva les yeux vers elle, presque surpris de la voir à côté de lui. Ses yeux lui sourirent mais son visage resta étrangement inexpressif ; au bout d'un moment, il recommença son manège comme si de rien n'était, et Lyhn se laissa doucement tomber à ses côtés, observant elle aussi le soleil se lever par la fenêtre.

Ici, avec eux, elle se sentait enfin chez elle.

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Il ne fallut pas plus de deux jours à Dario pour mettre ses menaces à exécution, s’offrant une nuit entière à ses côtés, une nuit entière où elle avait été contrainte de satisfaire aux moindres caprices de ce gamin arrogant et persécuteur. Tout n’avait pas commencé sur de mauvaises bases pourtant ; les premières nuits qu’il avait passées en sa compagnie, Dario s’était révélé être un client tout à fait décent, presque charmant à certains égards. Et Lyhn s’était comporté avec lui comme elle se comportait souvent, elle lui avait offert l’affection qui semblait lui faire cruellement défaut dans sa vie, elle avait cherché en lui quelque chose de bon, quelque chose qu’elle pourrait refaire ressortir à sa guise pour ne pas avoir à souffrir de son mauvais tempérament.

Dario s’était laissé prendre au jeu, il avait oublié ce qu’elle était ; Lyhn avait cette curieuse faculté, une faculté à double tranchant. Le retour à la réalité avait été brusque, violent. Lui qui s’était senti si spécial entre ses bras avait réalisé un beau jour qu’il « n’était qu’un parmi tant ». Son adoration s’était transformé en détestation, et depuis ce jour il la voyait telle qu’elle était réellement. Une pute, juste une pute. Pas quelqu’un digne d’être respectée, encore moins d’être aimée. Et il se persuadait de tout cela alors même qu’il continuait soir après soir à rechercher sa compagnie, même si elle le faisait souffrir au fond. C’était la réaction d’un gamin colérique et immature, ni plus ni moins.

La danseuse savait ce qu’elle avait à faire pour apaiser la tempête, elle parvenait encore à l’amadouer lorsqu’elle sentait qu’il n’était pas loin de se montrer inutilement cruel. Ce soir-là pourtant, elle n’avait eu aucune initiative à son égard, elle était restée là, éteinte et vide, et avait attendu ses directives, puisqu’il ne s’agissait que de ça, au fond, des directives. Lui qui avait tant aimé son naturel, sa façon d’être, comme s’il était différent de tous ceux qui étaient passés dans ses draps, il se retrouvait avec une poupée docile qui prenait un malin plaisir à attendre qu’il lui ordonne les choses, plutôt que d’essayer d’anticiper ses désirs et besoins.

La nuit lui avait paru durer une éternité. Une éternité pendant laquelle quelqu’un qui la méprisait usait et abusait d’elle ; elle s’était évertuée à ne trahir aucune sorte d’émotion, ni plaisir, ni déplaisir, le laissant à moitié fou de ne plus parvenir à éveiller quoi que ce soit chez elle. Il était reparti tôt le matin, et elle avait pris le bain le plus long de sa vie pour effacer les dernières traces de l’humiliation qu’elle avait subie.

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Début de soirée | La Belle de Nuit | Bas-quartiers Amaranthis  | An 82, 2eme mois d'automne, jour 13

Une semaine plus tard, elle remit totalement en cause cette stratégie. Dario était revenu presque tous les soirs, et avec lui sa volonté de les broyer, elle et sa résolution. Chaque fois il l’avait laissée un peu plus ternie et cassée que la fois précédente. Fatiguée, le vent de rébellion qui avait soufflé sur sa vie semblait faiblir, jusqu’à disparaître complètement. Après tout, à quoi bon lutter ? Lutter la rendait malheureuse.

Ce soir-là, on lui avait dit qu’elle ne danserait pas, qu’un client la voulait aux petits soins pour lui toute la soirée. Elle n’avait même pas eu besoin de tourner le regard dans sa direction pour savoir de qui émanait cette requête. Dario n’aimait pas la voir danser, soit parce qu’il éprouvait une jalousie aussi inappropriée que maladive, soit parce qu’il détestait simplement voir qu’elle prenait du plaisir dans ce qu’elle faisait.

Assise sur ses genoux, elle avait passé un bras autour de ses épaules dans un geste machinal ; elle avait rendu les armes, il le savait, et c’était probablement la raison pour laquelle il semblait d’aussi bonne humeur. En grande conversation avec un homme à la mine patibulaire juste en face d’eux, il ne prêtait pas vraiment attention à elle, pour son plus grand plaisir. Et elle, elle n’écoutait que d’une oreille distraite leur échange ; les manigances de Dario et son gang n’avaient pas de réel intérêt pour elle.

Elle sentit que la conversation qui allait suivre entre eux n’était peut-être pas aussi anodine que cela lorsque leur vis-à-vis lui lança un regard lourd de sens quant à sa présence autour de la table. Elle sentit la main de Dario remonter le long de son dos et se saisir de sa nuque, sa prise était ferme, possessive, et il tourna presque son visage de force dans sa direction pour lui voler un baiser auquel elle fit l’effort de répondre. Elle ne voulait plus le contrarier.

- Sois gentille et va nous chercher un verre, ma belle.


Elle sourit, aussi naturellement qu’elle en était capable, et hocha la tête. Ce soir, il avait réservé la soirée avec elle parce qu’il ne pourrait malheureusement pas passer la nuit au bordel. Quelle tristesse. Elle se raccrocha à cette échéance comme un naufragé à son radeau de fortune. Dario sortit quelques pièces de sa bourse, un certain nombre, avant de les coincer dans son corsage, se rinçant les yeux au passage.

- Oh, prends ton temps surtout, et paye toi un verre ou deux, d’accord ?
Il était visiblement de très bonne humeur pour proposer une telle chose. J’ai une affaire importante à conclure, alors…

Elle commença à s’éloigner de lui mais il la retint par le poignet.

- Et évite de papillonner avec tous les clients du bar. Tu reviens ici dès que je te fais signe.

Comme un bon chien - ou une bonne chienne en l’occurrence. Il semblait encore une fois oublier ce qu’elle était vraiment. Elle aussi tordait volontiers la réalité pour la rendre plus acceptable, mais lui vivait vraiment dans un fantasme permanent. Elle était sûre que s’il en avait les moyens, il demanderait à Madame Vivianne de la mettre sous cloche lorsqu’il n’était pas là. Elle savait exactement quoi faire, quoi dire pour le voir s’apaiser. Elle se pencha vers lui, chuchotant à son oreille.

- Je ne te quitterai pas des yeux.

Et comme la neige fond sous le soleil, elle vit son visage s’adoucir presque instantanément. Peut-être que c’était ça la solution, lui dire tout ce qu’il voulait entendre, quand bien même il était évident qu’il ne s’agissait que de mensonges. Il lui avait reproché de s’être joué de lui – faut-il être idiot pour reprocher ce genre de chose à une prostituée – mais il semblait aujourd’hui parfaitement à l’aise avec l’idée qu’elle lui mente aussi éhontément. Ce homme était un paradoxe à lui tout seul.

La danseuse s’éloigna cette fois pour de bon en direction du bar. Des regards se posèrent sur elle, ou peut-être sur la robe blanche qu’elle portait ce soir-là. Il n’était pas très bien vu pour une catin de porter du blanc, symbole de la pureté. Les Ascaniens en particulier auraient hurlé à l’outrage, parce qu’elle représentait l’exacte opposée de la pureté selon leurs critères. Comme si même les anges déchus n’avaient pas le droit de mettre du blanc. C’était une jolie couleur pourtant, une couleur qui faisait agréablement ressorti le hâle naturel de sa peau.

Elle extirpa les pièces de son corsage et les posa sur le comptoir. Dépenser l’argent de Dario pour son propre plaisir, c’était inouï. Elle allait se servir le meilleur alcool de ce bordel à ses frais, et ramener la piquette la plus imbuvable à leur table. Il était d’assez bonne humeur pour ne même pas s’en apercevoir. Le premier verre fut avalé d’une traite mais elle décida de savourer le second. Les sollicitations des clients de l’autre côté du comptoir parvenaient à peine à attirer son attention. Elle finit toutefois par leur répondre qu’elle ne danserait malheureusement pas ce soir.

Non, elle ne danserait pas pour eux ce soir, mais elle ne danserait pas non plus pour Dario dans l’intimité de sa chambre. Un sourire aux lèvres, elle reprit une gorgée de plus.
Daren Van Baelsar
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Sam 19 Fév - 16:44
S'adonner à un plaisir coupable n'est jamais sans conséquence. Pourtant, il suffit bien souvent d'un semblant de stimuli pour qu'une personne décide de faire fi de ce dogme. Un alcoolique souhaitera ne plus jamais sentir le goût d'une liqueur sur ses papilles lorsqu'il se retrouvera à vomir ses tripes en fin de soirée. Un amateur de Lotus Noir sera prit de regret, lorsque la réalité le rappellera à quel point la vie peut être parfois terne et sans saveur. Ce refus de penser au lendemain est un trait commun que l'on retrouve chez ces gens possédés par un mal être dont ils n’ont parfois même pas conscience. Les plus hédonistes Amaranthis augmenteraient en disant qu'il faut savoir profiter de la vie, sans prendre en compte le prix à payer face à tout ça.

Daren était désormais dans ce fameux lendemain. Le tabac surconsommé de la veille lui brûlait la gorge, et le manque d’hydratation lui donnait des courbatures. Ces désagréments restaient somme toute très superficiels. En revanche, le son de cette porte se refermant une dernière fois sur la silhouette de la danseuse eut bien plus de conséquences sur son moral. Le vide créé par sa disparition révéla aux yeux du loup solitaire la vétusté des lieux. Tout devint inconfortable autour de lui, exception faite de ce parfum floral et de l'entêtante odeur de cannelle dans laquelle il avait l'impression d'être encore baigné, comme un ultime souvenir d'une aventure à jamais finie.

Quelques minutes suffirent pour qu'il soit entièrement habillé et prêt à partir. Le rideau était tombé, la représentation était finie.

Adossé un instant contre le mur dans le couloir, l'Ascanien prit une minute pour tenter de se libérer de cet étau dans lequel il se situait. Habituellement, il parvenait sans trop de difficulté à reprendre le cours de son existence, aussi amère soit-il. Cette fois-ci, quelque chose semblait le retenir en arrière, une sorte de besoin de ne pas se détacher trop vite de ce simulacre de réalité qu'avait été sa nuit. Elle avait été pour lui ce qu'il était venu chercher, elle lui avait donné sans retenue et s'était volontiers plongé en sa compagnie dans ce ballet nocturne, effaçant totalement toute attache à ce qui se trouvait au-delà de cette porte qu'il venait de franchir. Cette nuit-là, il n'avait pas été capable de cacher son identité derrière un faux nom, un peu comme si leur représentation aurait été entachée d'une fausse note s'il s'était contenté de mentir.

Peut-être que cette retenue qu'il ressentait dès lors n'était qu'une crainte de regarder la vérité en face, cette vérité qui lui susurrait des mots qu'il ne souhaitait entendre. Finalement, le loup solitaire ajusta son chapeau sur sa tête et prit la direction de la sortie, évitant soigneusement tout contact, si ce n'est une brève salutation pour la maîtresse des lieux.

Le jour commençait à peine à se lever tandis que Daren arpentait les abords miteux du quartier Amaranthis. Bien que l'ambiance soit toujours peu reluisante et que le quartier paraissait encore plus insalubre à la lumière du jour, les rues de la ville prenaient lentement une nouvelle apparence. Les plus matinaux des travailleurs s'affairaient déjà dans les avenues, se rendant sur leur lieu de travail avec l'énergie d'une nuit de sommeil réparatrice. L'Ascanien observait régulièrement cette transition tout en se sentant étranger au monde qui l’entourait, lui qui terminait bien souvent ses journées au petit matin. Au-delà de ses escapades nocturnes, il n'était pas rare que son travail implique d'arpenter la ville toute la nuit, jusqu'à très tard dans la matinée. Parfois même, sa journée se prolongeait le jour suivant, selon les besoins des missions qui lui étaient attribuées.

Rapidement, il gagna l'un des axes principaux de la ville pour rejoindre le quartier Ascanien, bien plus familier pour lui. Il s'autorisa un seul arrêt, le temps d'allumer sa pipe à mi-chemin et d'en tirer quelques bouffées tout en marchant. Il passa non loin du palais sans y accorder un regard pour finalement s'engouffrer dans un quartier adjacent. Les rues de sa bourgade étaient suffisamment entretenues pour que l'étroitesse de certaine venelle ne donne pas l'impression de se retrouver dans un coupe gorge. Des fleurs et autres plantes grimpantes habillaient ça-et-là les murs aux devantures de bois et de pierre. Certaines maisons passaient au-dessus de ces ruelles, créant des arches basses surmontées de fenêtres donnant un certain cachet au lieu. Concentré sur rien d'autre que les pavés sous ses pieds, Daren s’arrêta finalement devant une porte faite d’un bois sombre, l’entrée de son foyer.

Il prit une profonde inspiration, observant les parures de bois solide mais abîmées de cette ultime étape à franchir. Ses yeux détaillèrent la façade en pierre dans laquelle se dessinait les poutres en bois, structure maîtresse de cette maison et témoins de sa solidité. Il toussota tout en se plaignant intérieurement qu'il était mauvais de fumer en marchant, puis posa sa main sur la poignée pour finalement ouvrir la porte, et rentrer chez lui.

Le sol composé de lattes de bois massive craqua sous les premiers pas du loup solitaire, animant le silence d'une sinistre façon. Bien que la maison ne soit certainement pas vide, aucun bruit ne parvenait aux oreilles de l'Ascanien dans ce couloir étroit qui servait d'entrée, desservant un passage vers un escalier et deux portes au rez-de-chaussée. Daren avisa les marches un instant avant qu'un léger bruit ne résonne depuis le fond de la pièce, soulignant que quelqu'un se trouvait dans le salon. D'abord planté dans l'entrée, il se décida à s'avancer vers la source du bruit.

Le salon était un espace de taille modeste dans lequel était installé un canapé, deux fauteuils et quelques meubles de rangement le long des murs. Habillés de coussins sur les assises et spatialisé par de grand tapis au sol, l'endroit laissait penser qu'il était agréable de s'installer autour du feu de la cheminée reposant dans un coin de la pièce. Pourtant, le bois carbonisé dans l'âtre et la couche de poussière sur la table basse laissaient penser à l’inverse que la famille vivant ici n'y passait pas tant de temps que ça. Une ouverture dans la mur, encadrée par une structure en bois sculptée et polie, laissait entrevoir un espace plus large qui servait de salle à manger. Une grande table pouvant accueillir une petite dizaine de convives reposait sur un tapis brodé aux couleurs chaudes. Tout autour, de nombreux meubles épousaient la forme des murs, certains laissant apercevoir de la vaisselle et autres babioles au travers de leur porte vitrées.

C'est lorsqu'il arriva dans cette seconde pièce que Daren put identifier la source du bruit. Au fond, non loin d'une fenêtre, une femme à la longue chevelure blonde détachée et à la silhouette élancée rangeait des assiettes dans le vaisselier. Lysandra, car tel était son nom, ne tourna pas la tête vers Daren lorsqu'elle le vit du coin de l'œil apparaître dans l'encadrement sans porte qui reliait les deux pièces. Un trop long silence s'installa entre les deux protagonistes, comme s'il leur était trop difficile d'initier la conversation. Ce fut finalement Lysandra qui rompit son mutisme en premier.

- Elle est malade, le médecin est passé hier soir.

La voix de l'Ascanienne était froide et sans douceur, témoignant de sa crispation. Daren prit quelques secondes avant de répondre, observant son épouse tout en sentant son amertume prendre des proportions insupportables dans sa tête. Soudainement cependant, l'inquiétude prit la pas sur toute autre considération.

- Lui a-t-il trouvé quelque chose de grave ? S'enquit Daren, lui aussi avec une certaine froideur qui masquait son inquiétude.
- Non, selon lui c'est bénin, elle a juste besoin de se reposer pour la journée.

Daren s'autorisa un discret soupir de soulagement, mais elle ne lui laissa pas le loisir de reprendre la parole.

- En revanche, elle a fait des cauchemars, et a demandé à te voir plusieurs fois dans la nuit. J'imagine que la fièvre l'a affaibli et qu'elle avait besoin de toi...

Ainsi commençait réellement les hostilités, comme toujours ou presque lorsque Daren se retrouvait à disparaitre toute la nuit. Cette habitude que Lysandra avait pris de lui reprocher ses retours tardif à la maison -entre autre- ne datait pas d'hier, et l'Ascanien pouvait à ce jour presque dire qu'il y était habitué, presque...

- Je vais aller la voir.
- Ne la réveille pas si elle à finalement réussi à s'endormir, cette nuit à été assez compliquée comme ça.

Daren serra les dents pour ne pas rétorquer quelques évidences acerbes, trop conscient de la direction que prenait la conversation. Sans un mot de plus, il se détourna - non sans une certaine frustration - pour se rendre à l'étage. Au-delà de cette lassitude qu'il ressentait, la culpabilité vint à nouveau l'enserrer à chaque marche qu'il gravissait, jusqu'à ce qu'il pousse finalement la porte de la chambre de sa fille avec précaution.

La chambre d'Hélène était une chambre d'enfant comme on en trouvait dans de nombreux foyers Ascanien, un petit nid que la résidente partageait avec des jouets en tout genre, entreposés dans tous les coins de la pièce. La fenêtre protégée par un rideau épais laissait filtrer un mince filet de lumière dans la pièce. Dans un coin, sur le lit simple, reposait Hélène, dont seule la chevelure blonde semblait émerger de son cocon de couette et de draps dans lequel elle était emmitouflée. Elle n'avait esquissé aucun mouvement en entendant la porte, ce qui laissa supposer à Daren qu'elle dormait. Il hésita un instant à s'approcher du lit. Ses yeux se posèrent sur un jouet à ses pieds, un ours en peluche qui avait déjà vu passer beaucoup de saisons comme en témoignait ses coutures fatiguées et son pelage terni par les âges. Daren le ramassa avec soin et examina le jouet en silence, esquissant sans s'en rendre compte un sourire. Il lui avait offert cet ours pour son premier anniversaire, évènement dont elle ne gardait évidemment aucun souvenir, mais qui semblait avoir été suffisamment marquant pour qu'elle traîne encore cette vieille peluche dans sa chambre. Il avisa une nouvelle fois la silhouette immobile et se décida à ne pas la réveiller, mais avant qu'il n'ait l'occasion de faire demi-tour, une voix fébrile brisa le silence.

- Papa...c'est toi?

Le cœur du loup solitaire fit un bond dans sa poitrine. Il s'avança avec précaution vers le petit lit, jusqu'à s'asseoir sur le bord du matelas, en veillant à ne pas forcer sa fille à bouger.

- Oui, je suis là...

La petite silhouette se tourna péniblement pour se dégager de quelques épaisseurs de drap, dévoilant à l'Ascanien le visage aux traits fins et tirés de sa fille. Ses grands yeux bleus, identiques à ceux de sa mère, l'observait au travers d'un voile de fatigue qui témoignait de son état de faiblesse. Cette vision serra le cœur de Daren autant en bien qu'en mal. Sans un mot de plus, la petite esquissa un petit sourire et vint enlacer du mieux qu'elle le pouvait la taille de son père pour se blottir contre lui.

- Désolé de ne pas avoir été là cette nuit, je sais que ça n'a pas été facile pour toi, tu as été courageuse.

La douceur de la voix de Daren tranchait nettement avec le ton qu'il employait habituellement. Sa main était venue passer dans la chevelure blonde d'Hélène, révélant sous ses doigts la chaleur fiévreuse qui habitait sa fille. Elle ne bougea pas d'un pouce pendant un très long moment, semblant profiter de ce moment qui lui avait été refusé dans la nuit. Daren en profita pour glisser l'ours en peluche près d'elle, geste qui sembla la contenter d'avantage.

- Tu sens bon papa, tu sens les gâteaux...

Ce constat fait dans la plus pure des innocence qu'un enfant puisse avoir fit frissonner Daren, dont les images d'une soirée révolue lui revinrent en tête, se mélangeant un instant à sa culpabilité de ne pas avoir été là quand sa fille avait besoin de lui. Dans son tumulte mental, il n'entendit pas non plus les craquement du sol derrière la porte de la chambre, indiquant que quelqu'un d'autre avait entendu cette phrase. L'ascanien ne répondit rien aux dire de sa fille, se contentant d’imaginer que l’innocence de l’enfance jouerait en sa faveur.

- Maman était triste hier tu sais, je l'ai entendu pleurer derrière ma porte quand j'ai dit que je voulais te voir...
- J'essaierai de travailler moins tard pour être avec vous la prochaine fois d'accord?

Un léger silence s'installa entre le père et sa fille. Toujours blotti contre lui, Daren crut d'abord qu'elle allait simplement se rassurer de ses propos, mais l'étreinte des bras d'Hélène contre lui se desserra dès lors, jusqu'à ce qu'elle lève les yeux vers lui, dévoilant un visage sans sourire.

- Mais tu l'as déjà dit ça...

Il n'en fallut pas plus pour que l'humeur de la pièce devienne aussi froide que les geôles du palais. La maladie n'aidant pas, Hélène était à fleur de peau, et les mots de son père avaient eu finalement l'effet inverse que ce qu'il escomptait, dissipant tout à coup toute sensation réconfortante dans ce qu'était cet échange entre un père et sa fille. Daren ne put constater non sans peine son erreur, et il savait aussi que rien n'arrangerait sa cause à ce moment. Faisant semblant de ne pas avoir entendu cette ultime phrase, il posa un baiser sur le front de la petite et passa une dernière fois sa main dans ses cheveux.

- Repose toi mon cœur, je serai là tout à l'heure.

Le dernier regard qu'elle lui adressa était chargé en émotions, tant positives que négatives. Elle se tourna alors dans l'autre sens, faisant tomber dans son geste l'ours en peluche au sol. Daren ne put s'enlever de la tête ces larmes qu'il venait de voir monter aux yeux de sa fille, rendant éprouvant le fait quitter son chevet. Avant de partir, il ramassa l'ours en peluche et le posa sur la table de nuit, puis il quitta la pièce en silence. Dans le couloir, il rencontra Lysandra, non loin des escaliers, prête à descendre. Le regard qu'elle lui adressa à son tour ne manqua pas d'enterrer définitivement toute note positive concernant cette nuit avec la danseuse, empoisonnant ses pensées pour les noyer dans la culpabilité.  Le loup solitaire la regarda descendre les marches avant d'aller s'enfermer dans un salle faisant office de bureau, non loin de la chambre d'Hélène.


La nuit les langues se délient  W69b11

Milieu d'après midi | Église Ascanienne | An 82, 2eme mois d'automne, jour 8

La pointe de la plume se détacha du papier une fois arrivé en bas de page. Daren essuya avec précaution le surplus d'encre avant de reposer la plume dans un écrin usé et de refermer le bouchon sur l'encrier. Devant lui reposait un carnet de petite taille ouvert dont les deux pages étaient couvertes d'écrits soignés proprement alignés. En son centre, une lanière de cuir attachée au sommet du livret permettait de conserver la page. L'Ascanien patienta une petite minute avant de clore le livret dans lequel il venait de coucher quelques mots.

Il se leva de sa chaise, quittant le petit bureau de fortune qui reposait dans un coin discret de l'église dans laquelle il se situait. Il s'en éloigna, traversant les quelques rangées de chaise du modeste hall pour se rendre de l'autre côté vers une porte en pointe entrebâillée. Le grincement sinistre de la porte ne l'arrêta pas et Daren s'avança de quelques pas vers le fond de la minuscule pièce qui servait de réserve à outils. Il déposa alors le petit carnet avec précaution dans un vase à ouverture large et quitta la pièce en attrapant une petite échelle sur le côté de la porte. A sa sortie, un homme l'interpella d'une voix grave et calme.

- Je t'ai dit que ça ne pressait pas, tu devrais prendre un peu de temps pour te reposer mon garçon.

Daren esquissa un sourire à l'homme d'église qui venait d'apparaître devant lui.

- Tu m'as dit que la toiture prenait l'eau, j'en ait pas pour longtemps à te filer un coup de main et je voudrais pas que tu te fasse mal au dos en voulant le faire toi même vieil homme.
- Providence veille surement sur toi, mais ne te crois pas plus résistant que tu ne l'est, la fatigue se lit dans tes yeux.
- Ca me fait du bien d'être là un peu...ça me sort du boulot un peu.

Le prêtre s'abstint de faire un commentaire sur l'idée de retrouver la chaleur de son foyer. Il s'y était risqué une fois, et le manque de discernement de Daren face à cette remarque l'avait poussé à ne plus en faire mention et à se contenter d'attendre que le loup solitaire se mette à en parler lui même, comme il finissait toujours par le faire à un moment où un autre. Il ne put cependant tout laisser passer sans se sentir concerné.

-J'apprécie l'aide que tu m'apporte, et si ça t'aide au moins à ne pas penser qu'à ton travail alors soit, reste un peu. Mais n'oublie pas, si tu tire trop sur la corde, elle finira par se rompre.

Daren posa l'échelle en bois au sol, la tenant debout d'une main. Il exerça une petite révérence vers l'homme d'Église et afficha un nouveau sourire, un peu plus provocateur. Il prit finalement la parole, l'air très sûr de lui.

- Providence me guidera vers le droit chemin, n'est-ce-pas vieil homme?

C'est sur un profond soupire un brin exaspéré venant du prêtre que Daren s'en alla avec son échelle sous le bras, marmonnant dans sa barbe l'air d'un chant religieux.

La nuit les langues se délient  W69b11

Soirée| Geôles du palais | An 82, 2eme mois d'automne, jour 11

Les pas des deux hommes déambulant dans les couloirs des geôles du palais résonnaient au loin sous la voûte basse et arrondie de cet interminable couloir. A la lueur des torches enchâssées le long du mur, ils passèrent devant plusieurs alcôves fermées par des barreaux. La plupart semblaient vides, exception faite de quelques silhouettes demeurant silencieuses dans l'obscurité. Encapuchonnés, les deux hommes n'étaient pour les prisonniers que des silhouettes ressemblant à toutes les autres. Au détour d'un couloir, une troisième silhouette, habillée de la même façon, les attendait, adossée au mur et jouant avec ce qui ressemblait à un couteau. Cette silhouette, plus fine, laissait penser qu'il s'agissait d'une femme. Sans un regard, elle leur emboîta le pas et tous trois prirent une bifurcation pour se retrouver dans un espace clos séparé en deux pièces par une porte en bois grossière qui semblait seulement s'ouvrir de leur côté.

Les trois personnes s'arrêtèrent au centre de la pièce et l'un d'eux prit la parole, d'une voix autoritaire.

- C'est bien un de ses hommes n'est-ce-pas ?
- Tout à fait. Répondit la femme encapuchonnée avec beaucoup d'assurance.

Daren avisa la porte avant de reporter son attention sur ses deux interlocuteurs.

- Tu t'es pas fait repérer au moins?
- Il est tombé dans les vapes avant même de comprendre qu'il venait de se faire attaquer, donc non.
- Interrogez-le, faites lui avouer tout ce qu'il sait à propos de l'affaire, Il tourna la tête vers Daren en marquant une petite pause, rien ne sert de presser les choses, met toute les chances de ton côté avant d’intenter quelque chose contre lui.

Visiblement pressé, l'homme quitta le groupe sans un mot de plus, laissant Daren et cette femme face à face. Le plafond étant un peu plus haut dans cette zone, Daren s'autorisa à allumer sa pipe dès lors qu'il ne furent plus que deux. La femme prit la parole.

- Tu t'y colles? ou j'y vais ?
- C'était déjà moi la dernière fois non?
- Tu plaisantes là? je te rappelle que t'as prétendu avoir un truc important à régler et tu m'as laissé tout le sale boulot.

Daren avait une bien trop bonne mémoire pour infirmer les dires de son interlocutrice. Comme souvent, il poussa un grognement insatisfait, prit une grande bouffée de sa pipe avant de la confier à la femme qui se fendit d'un sourire provocateur. Le loup solitaire attrapa un gros anneau sur lequel reposait une clé le long du mur et déverrouilla la porte en laissant la clé dedans. Une fois qu'il fut à l'intérieur, la femme poussa la porte d'un coup de pied sec pour la refermer de l'extérieur. Elle s'adossa ensuite contre le montant et profita de la pipe encore allumée pour tirer de longues bouffées en silence, profitant d'un calme épisodiquement ponctué par des cris et suppliques...

Trois coup contre la porte incitèrent la femme à rouvrir. Daren sortit de l'espace sombre et replaça le verrou. En silence, il se dirigea vers un bac en bois posé sur un socle et se nettoya les mains, dégageant le sang qui maculait ses poings.

- Rien d'intéressant. Ce type ne sait absolument rien de son employeur, à part son nom.
- On peut toujours aller plus loin que quelques coup de poing à la figure...Je suis sur que tu lui a fait le coup de l’effusion de sang en lui explosant l’arcade pour qu’il prenne peur…

Le petit silence de Daren donna raison à la femme qui émit un petit rire en comprenant qu’elle venait de viser juste.

- C'est une petite merde des bas fond de la ville, il sait rien sur celui qui l'embauche. C'est une bonne stratégie d'engager ce genre de rats, il leur donne du boulot sans qu'ils se posent de question, ça évite les fuites d'informations.
- Malin ton gars...Elle marqua une petite pause en tendant sa pipe. Bon, j'aime pas travailler en duo, tu le sais, mais je peux t'en ramener trois ou quatre de plus à interroger le temps que tu surveille le gros poisson.
- Inutile, ça mènera à rien, pas comme ça en tout cas...
- Oublie pas à qui tu as affaire, c'est un dangereux.

Daren émit un rire moqueur avant de tourner la tête vers la femme toujours encapuchonnée.

- Tu fais dans le sentiment toi maintenant ?
- Je t'emmerde, ça m'apprendra à vouloir aider tiens.


La nuit les langues se délient  W69b11

Début de soirée | La Belle de Nuit | Bas-quartiers Amaranthis  | An 82, 2eme mois d'automne, jour 13

L'humeur n'était clairement pas au beau fixe. Désireux de passer un peu de temps chez lui, Daren avait décidé de ne commencer à travailler qu'en début de soirée. Cette initiative aurait dû être source de relaxation et d'apaisement, mais il n'en fut rien. D'abord bien engagé, la fin d'après-midi prit des airs de conflit au détour d'une phrase mal interprétée et d'un manque évident de communication entre eux. Il était triste d'admettre que Daren en était venu à se réjouir de quitter son domicile.

Pendant ces quelques jours, l'Ascanien s'était fait discret, se contentant d'observer quelques aller et venues de sa cible de très loin. Fort de sa mémoire à caractère exceptionnel, il en était rapidement venu à détailler quelques habitudes, menant à la quasi certitude que sa cible serait une fois de plus présente à la Belle-de-Nuit ce soir-là. Pas vraiment enchanté à l'idée de se replonger dans les tentations qui faisaient à certaines périodes son quotidien, il ne pouvait nier non plus cette étrange attraction qui l'incitait à honorer ses dires. Après tout, n'avait-il pas dit qu'il reviendrait certainement la voir danser ? Comme d'habitude, ses pensées faisaient la balance entre le lâcher prise et la culpabilité. Il était là pour surveiller et en apprendre plus sur celui qu'il traquait depuis des jours déjà, mais il n'était pas dupe sur ce fond de vérité relatant de sa passable résistance à la tentation. Qui plus est, il était bien plus facile pour lui de passer pour un simple client en ce lieux qu'il fréquentait depuis longtemps, alors autant joindre l'utile à l'agréable...

Pour s'éviter de trop réfléchir, Daren pressa le pas jusqu'à enfin pénétrer dans la maison close de Madame Vivianne.

Les volutes de fumées, le public diversifié réparti dans toute la salle, les demoiselles offrant sourires et attention à qui de droit. Rien ne changeait réellement dans ce genre d'endroit. Comme la roue d'un moulin, le fonctionnement d'un établissement de plaisir ne connaissait que très peu de variation, des clients venaient, se payaient la compagnie de femmes, et partaient. D'autres se contentaient de passer une soirée à boire et jouer en bonne compagnie, une routine qui semblait convenir à presque tout le monde entre ces murs.

Comme à son habitude, Daren ne s'attarda pas pour observer l'assemblée en faisant le pied de grue sur le pas de la porte. Il n'était jamais bien vu de se faire remarquer dès l'entrée, autant se fondre dans la masse. Après tout, il était un client comme un autre. Cette fois cependant, son regard s'attarda quand même vers le bar, sur lequel il ne vit nulle silhouette en train d'hypnotiser la salle comme il l'aurait espéré. Une pointe de déception se fit sentir, mais il l'ignora en se disant que cela arriverait peut-être plus tard. Tout en avançant vers le bar, une table apparaissant dans son champ de vision capta son attention. Sa cible était à quelques mètres de lui, attablée devant un verre presque vide. Pendant un instant, la tentation de se jeter sur lui traversa l'esprit de Daren, qui se ravisa aussi vite. Précipiter les choses était inutile, encore plus lorsqu'il s'agissait de personnes réputées dangereuses.

Un autre détail le contraria quelque peu en revanche. Le type en face de lui n'était autre que Dario, un nom et un visage que le loup solitaire s'était efforcé de graver dans sa tête pour plus tard. Alors finalement, ce rat était aussi impliqué dans les affaires de sa cible, voilà une information qui le conforta dans l'idée qu'il avait bien fait de ne pas intervenir plus que par quelques provocations, la dernière fois qu'ils avaient été confrontés. Il ne s'attarda pas à toiser les deux hommes, nul besoin de faire marcher la mémoire de Dario, ni d'éveiller les soupçons de la cible. Il continua à se frayer un chemin vers le bar pour aller commander quelque chose.

Ce n'est qu'une fois que plus personne ne lui bouchait la vue qu'il put apercevoir la silhouette d'une femme habillée tout de blanc, une couleur qui ne manqua pas de le surprendre tant elle était inhabituelle dans ce genre de lieu. Daren reconnut évidemment la danseuse au premier coup d'œil. Légèrement en retrait et sur le côté à l'arrière du bar, Lyhn semblait prendre le temps de boire un verre. Un deuxième verre vide reposant à côté d'elle lui laissa supposer qu'elle venait de boire avec quelqu'un, peut-être Anette ? ce qui n'aurait pas été surprenant. Daren éprouva une satisfaction certaine à la vue de la danseuse, impossible de le nier. Envisageant d'abord de la laisser siroter son verre en paix, l'Ascanien l'observa quelques secondes, comme s'il tentait de deviner ce à quoi elle pensait. Il arrêta cet exercice futile et s'imagina qu'il ne dérangerait pas forcément s'il venait simplement la saluer.

Bien qu’il ne la connaisse pas tant que ça, il se sentit l’envie de s’offrir un brin de conversation avec elle, si bien qu’il s'approcha d'elle en évitant un énième client et s'installa au comptoir, pratiquement en face d’elle.

- Dommage que je sois venu sans mon cheval blanc, il est assortit à ta tenue.

Parlant d'une voix affirmée, l'intonation de Daren témoignait de sa certaine assurance. Tout en regardant en direction de la danseuse, il posa alors son chapeau sur le comptoir et replaça une mèche de cheveux sur le côté de son visage. Ses yeux se posèrent sur la danseuse et un léger sourire s'afficha sur son visage, un des premiers de cette journée aux tristes rebondissements.
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Dim 20 Fév - 22:44
- Dommage que je sois venu sans mon cheval blanc, il est assorti à ta tenue.

Un sourire illumina le visage de la danseuse avant même que son regard ne vienne trouver celui de son interlocuteur. Quelqu’un avait mal fermé la porte de la bergerie et le loup s’y était une nouvelle fois engouffré, peut-être pour le plus grand plaisir de l’agneau qu’elle était. Elle ne voulait pas être le rôle central de la tragédie qui se jouait ce soir et le loup avait déjà prouvé qu’il était un partenaire de jeu à sa hauteur. À moins bien sûr qu’il ne s’agisse que d’un simple entracte dans la pièce, auquel cas elle se devait d’en profiter avant de remonter sur scène.

Volontairement à distance du comptoir, Lyhn s’était adossée à côté de l’étagère où étaient entreposés tous les alcools que l’établissement avait à offrir et faisait distraitement tournoyer la liqueur ambrée dans son verre. Aussi stupide qu’étaient ses exigences, elle ne voulait plus contrarier le petit roquet qui se prenait pour un limier. Sans se départir de son sourire, elle observa le loup assis face à elle en se disant que cela allait devenir un tout petit peu plus compliqué que prévu.

- Mince… Et peut-on savoir ce qui est arrivé à ton destrier ?
- J'ai du le vendre pour me faire quelques piécettes et pouvoir prendre un verre ce soir.

Elle ne savait pas si elle se faisait des idées mais elle ne le trouva pas aussi détendu qu’il voulait le faire croire. Sans un mot, elle attrapa la bouteille qu’elle avait débouché pour elle un peu plus tôt et s’approcha du comptoir pour remplir un deuxième verre. Ses gestes étaient encore très maîtrisés pour quelqu’un qui trouvait son centre de gravité légèrement dévié vers la droite. Quelle idée d’avaler une liqueur de cette qualité d’une seule traite.

- Ça veut dire qu’on ne peut pas s’enfuir à cheval dans la nuit, c’est ennuyeux. On m’a toujours dit qu’il fallait soigner ses entrées, mais encore plus ses sorties, dit-elle en poussant ce nouveau verre – généreusement rempli – dans sa direction. Son sourire était énigmatique lorsqu’elle reporta son attention sur lui. Il avisa le verre face à lui avant de le lever, l’inclinant légèrement vers elle.
- Si s'enfuir était une solution, j'irai racheter mon destrier blanc immédiatement, mais il faudrait pour ça que je ne paye pas ce verre, cruel dilemme.
- Trouvons autre chose alors, je ne voudrais pas te priver de ce verre, répondit-elle en faisant mine de réfléchir. Les toits, peut-être ? Ça ne manquerait pas de panache.

Les yeux qu’elle posait sur lui étaient joueurs mais commençaient à trahir son état ; elle n’avait pas les pupilles de quelqu’un qui en était seulement à son premier verre, encore moins de quelqu’un qui buvait lentement.

- En attendant de trouver une alternative, est-ce que tu voudrais bien trinquer avec moi ? À ton fidèle destrier, puisse t-il être heureux où qu’il soit maintenant, fit-elle avec une certaine théâtralité avant de lever son verre et d’en avaler la moitié.

Plus mesuré qu’elle ne l’était, il avala une petite gorgée de sa boisson tandis que le léger sourire qu’il avait eu en l’écoutant de dissipa bien vite, aux grands regrets de la danseuse.

- Je te propose d'éviter les toits au moins pour ce soir, avec l'alcool que tu as ingurgité, c'est un coup à ce que je doive te rattraper avant que tu ne te rompes le cou sur le pas de la porte en contrebas.


Une remarque bien sérieuse à une taquinerie bien légère. Cela commençait à avoir des airs de déjà-vu. L’alcool faisait luire ses prunelles avec encore plus d’intensité. Finalement, elle n’avait retenu qu’une seule chose de ce qu’il avait dit.

- Mais tu me rattraperas ?
- Assurément.

Même si leur échange n’avait aucun réel enjeu, le sourire de la danseuse s’accentua comme s’il venait de lui faire une promesse. La façon dont elle le regardait à cet instant n’évoquait certainement pas un agneau face à un loup. Ou alors un agneau drôlement effronté.

- Tu as déjà dansé ce soir ? finit-il par lui demander. Elle détourna le regard.
- Non. Je ne peux pas danser ce soir.

Cela méritait certainement des explications. Au moins pour qu’il ne s’imagine pas qu’elle souffrait d’un handicap physique quelconque. Doucement, elle leva son bras en pliant simplement le coude, comme si elle cherchait à attirer son attention sur son poignet qui ne présentait pourtant pas la moindre marque, pas le moindre indice sur ce qui l’empêchait de tournoyer sur son perchoir. Si l’un s’était autorisé une dépense excessive pour lui permettre d’être libre une heure ou deux, l’autre n’hésitait pas à dilapider ce qu’il avait pour lui couper les ailes et s’assurer qu’elle ne s’envole pas ce soir.

- C’est ma laisse invisible. Il préfère que je reste à sa disposition pour la soirée, dit-elle en jetant un coup d’œil involontaire par dessus l’épaule de l’Ascanien.

Il n’eut pas besoin de se retourner pour savoir sur quoi – ou plutôt sur qui – son regard s’était retrouvé magnétisé. Il avait suffisamment mémorisé la pièce pour savoir quelle table exactement se trouvait dans son dos. Le simple mouvement de ses sourcils projeta une ombre sur le visage du loup et elle entendit sa langue claquer sur son palais ; il ne cachait plus rien de sa contrariété.

- Et j'imagine qu'il ne tolérerait pas que tu accordes de l'attention à quelqu'un d'autre que lui. Le petit garçon est en mal d'amour.

Elle haussa les épaules avant de lui sourire, comme si elle essayait de dédramatiser la situation. Leur échange à propos d’une fuite à dos de cheval blanc un peu plus tôt prenait tout à coup une autre saveur. Une saveur très amère.

- Et Madame Vivianne ne tolérerait pas que je laisse quelqu’un mourir de soif dans son établissement. C’est encore elle qui a le dernier mot et elle est bien plus effrayante que lui.

Et quand bien même, Dario pouvait aller se faire voir chez les érudits. Elle avait été payée pour être aux petits soins avec lui, mais il l’avait envoyée ici parce que sa conversation avec le balafré était trop importante pour ses petites oreilles, il n’avait donc rien à dire. Et puis il ne méritait pas d’être le sujet principal d’une conversation. Il méritait encore moins l’ombre qu’elle voyait grandir sur le visage du loup solitaire, c’était lui accorder bien trop d’importance. Il n’en valait pas la peine.

Elle n’en valait pas la peine.

Déterminée à le distraire de ses sombres pensées, elle attrapa le chapeau qu’il avait laissé sur le comptoir avant de le poser délicatement sur sa propre tête. Même si elle était un peu plus habillée que la dernière fois, elle était toujours convaincue qu’il lui allait mieux qu’à lui. Elle lui lança un sourire taquin avant de se rapprocher, coudes sur le bar, les isolant presque du reste du monde autour d’eux.

- Je suis contente de te revoir, j’ai souvent pensé à toi…

Impossible de savoir comment cet aveu serait reçu. Une vulgaire tentative pour fidéliser le client ? Une exagération de la réalité pour se montrer agréable ? La vérité, c’est qu’elle avait eu beaucoup de mal à oublier la saveur de leur première rencontre, même si elle savait qu’il fallait se débarrasser de ce genre de réminiscences avant qu’elles ne deviennent des obsessions. Elle y était presque parvenue… Presque. Certains souvenirs, certaines sensations, s’étaient gravés en elle, malgré elle, et elle se retrouvait parfois à se dire qu’elle avait tellement bien joué son rôle que ce n’était pas uniquement lui qu’elle avait réussi à convaincre. Ironique quand on savait à quel point elle était douée pour passer à autre chose la plupart du temps.

Elle vit les pupilles du loup se dilater devant cette proximité et ses lèvres s’entrouvrir, sûrement pour répondre quelque chose et…

- Ça fait dix minutes que j’essaie d’attirer ton attention !

Et elle s’écarta, sans brusquerie mais assez rapidement. L’acte II de la pièce pouvait débuter maintenant que tous les protagonistes étaient sur scène. Le regard – mi vexé mi furieux – de Dario passait de Lyhn à l’Ascanien, avant qu’il ne bloque finalement son attention sur ce dernier.

- Désolée, j’ai été distraite.

Le ton manquait de sincérité ; le visage, lui, semblait s’être irrémédiablement fermé.

- Oui, je commence à comprendre pourquoi. Et enlève ça, t’es ridicule, répondit-il en lui ôtant sans aucune douceur le chapeau qu’elle avait encore sur la tête.

C’était tout Dario, ça. Il ne pouvait pas se contenter de lui enlever, il fallait qu’il se montre désagréable en prime. Elle se détourna de lui pour servir les fameux verres qu’il lui avait demandé de ramener à leur table. Deux verres généreusement servis du pire alcool qu’elle put trouver. Elle prit tout son temps, parce qu’il fallait qu’elle recompose le masque, qu’elle enfile son nouveau costume. Si elle montrait son visage maintenant, nul doute qu’il y verrait tout le mépris qu’il lui inspirait. Derrière son dos, elle l’entendit s’adresser au loup, avec un ton faussement amical ; elle nota qu’il était très mauvais acteur.

- Désolé si t’étais venu pour le spectacle, Lyhn est occupée ce soir.

Cela aurait pu l’amuser de voir un petit roquet essayer de hurler avec un loup à la pleine lune, à la place elle sentit une curieuse appréhension s’installer dans le creux de son estomac.

- On devrait y retourner, non ? Ton ami est tout seul et il doit avoir soif, dit-elle précipitamment pour couper court à tout échange entre les deux hommes, avant de prendre la direction de leur table sans un regard en arrière, comme si elle craignait que le moindre contact visuel avec le loup soit susceptible de faire exploser l’établissement tout entier.
- Ouais, ouais…

Dario resta pourtant en retrait, affichant un sourire narquois destiné à celui qui ce soir-là ne pouvait pas se targuer d’avoir été plus rapide. Il sembla attendre que Lyhn ne puisse plus l’entendre pour ajouter :

- Si t’as l’intention de passer la nuit là-haut avec elle, sois gentil. J’ai offert une passe à chacun de mes gars l’autre soir, et elle a encore un peu de mal à s’en remettre.

Et puis il eut ce geste, probablement le geste de trop, celui qu’il avait eu lors de leur tout premier échange : cette insupportable petite tape sur l’épaule. Les intentions de Dario ne pouvaient pas être plus limpides, il cherchait juste à le pousser à frapper le premier et ainsi s’assurer qu’il ne traînerait pas dans les parages plus tard.
Daren Van Baelsar
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Lun 21 Fév - 1:10
Se voir accueilli d'un sourire était presque une norme dans un établissement de plaisir, encore plus lorsque l'on était bon payeur et respectueux des résidentes. Celui qui s'était éveillé sur le visage de la danseuse se fit cependant plus convainquant que ce qu'il avait l'habitude de voir chez les autres résidentes. Peut-être essayait-il de se convaincre d'occuper une place particulière chez elle, devenant capable de procurer de la joie par sa simple présence à cette presque inconnue qu'il avait l'impression de connaître par cœur tant il avait ressassé cette affection qu’elle lui avait offerte. Dans tous les cas, Daren se contenta de recevoir cette marque affective de la plus simple des manières, à savoir sans commencer à se creuser la tête sur la sincérité des actes de la danseuse. L'alcool arriva à point nommé pour s'éviter de ruminer, bien que la consommation excessive et rapide de la jeune femme ne le rassura guère quant à la soirée qu'elle était en train de passer.

Avec un naturel assez déconcertant, la conversation allégea ses tensions de la journée jusqu'à ce qu'ils finissent par passer au second plan, au moins en partie. Parler avec la danseuse lui parut si simple qu'il comprit immédiatement pourquoi ses pas l'avaient guidé vers le bar à la recherche de la jeune femme plutôt qu'à une table isolée dans un coin, comme il en avait prit l'habitude.

Comme une confirmation qui ne manqua pas de le contrarier, il comprit qui était la cause de cet attrait vers la bouteille et ce manquement à certaines convenances qu'elle semblait avoir ce soir. La frustration qui naquit en lui se fit bien plus grande qu'il ne l'aurait souhaité et sa main se crispa sur son verre. Il avait beau savoir quel était le métier de la danseuse et ce que cela impliquait, imaginer ne serait-ce qu'une seconde qu'un type comme Dario puisse obtenir ce qu'il souhaite en l'obligeant à passer une soirée sur ses genoux ou à lui servir des verres. Pire encore, l'idée qu'il puisse l'avoir pour une nuit entière le révulsait. Il fut cependant bien obligé de se stopper dans ses fulminations intérieures lorsqu'elle posa le chapeau sur sa tête.

- Je suis contente de te revoir, j’ai souvent pensé à toi…

Comme si la pièce s'était soudain effacée pour les ramener à cette chambre, les mots de la danseuse prirent possession de sa mauvaise humeur et la laissèrent se vaporiser au gré d'un parfum de cannelle qu’il imaginait s'être élevé dans l'air. Simple facétie de son esprit, il ne manqua pas de l'associer à ce rapprochement physique qu'elle venait d'opérer. Le loup était une fois de plus possédé par l'agneau, et il ne manifestait en rien l’envie qu’il en soit autrement.

Avoir une mémoire exceptionnelle était un avantage social indéniable, et il fallait admettre qu'à cet instant même, le chapeau qu'elle avait vissé sur sa tête fut suffisant pour le ramener à la dernière fois qu'elle avait eu ce geste face à lui. Bercé par son imagination, la robe blanche qui entourait le corps de la danseuse ce soir-là s'estompa dans l'imaginaire de l'Ascanien. Habituellement, il s'efforçait de ne pas penser à une expérience passée dans la couche d'une fille de joie. Cette fois-ci, il ne chercha même pas à s'imposer cette règle, tant il comprit qu'il en serait bien incapable.

Les quelques secondes que l'Ascanien mit avant de s'apprêter à parler firent cependant de trop pour qu'elle ait l'occasion d'entendre ce qu'il avait à dire.

Le trublion était maintenant de la partie. Cette stase que la danseuse avait offert à l'Ascanien et dans laquelle il s'était volontiers plongé devint terne et dénuée d'arôme. L'odeur de cannelle et la douceur du souvenir disparurent lorsqu'elle s'éloigna de lui, le laissant reposer les pieds sur la terre d'une réalité un peu trop dure à avaler. Pour le bien de tous, Daren se barricada dans un mutisme absolu et s'efforça d'y rester, un combat plus difficile qu'il ne l'aurait imaginé, à l'image de cette colère qu'il sentit déborder en le voyant lui ôter le chapeau sans douceur. Daren regarda Lyhn qui n'était plus que prisonnière de l'ombre de Dario désormais

- Désolé si t’étais venu pour le spectacle, Lyhn est occupée ce soir.

Le regard de l'Ascanien se focalisa finalement sur le trublion. Sans montrer aucune émotion, Daren se contenta d'un lourd silence en guise de réponse. Ses yeux fixaient ceux de Dario sans ciller. Intérieurement, cependant, il ne put s'empêcher de tiquer sur tout ce qui venait de se passer, tout comme il se rappelait chaque mot et chaque détail de leur dernier échange. Déployer autant d'énergie pour couper les ailes d'un papillon de peur de le voir s'envoler pour trouver la compagnie d'un autre révélait bien plus de choses que Dario semblait l'envisager. Entre cette démarche de coq déplumé et la conversation que Daren venait d'avoir avec Lyhn, il n'y avait plus de doute sur le caractère possessif presque maladif de son interlocuteur. Un détail, certes...mais un de plus que loup s'était ancré dans la tête, satisfaisant la promesse qu'il s'était faite de retenir tout ce qu'incarnait Dario, au cas où un jour il devrait se confronter à lui.

La danseuse tenta tant bien que mal de désamorcer la situation avant que tout ne devienne délétère. Une attitude somme toute utile, si l'on prend en compte que la patience de Daren avait certaines limites, non loin d'être franchies. En soit, cette démarche le poussa à se maintenir dans son attitude muette jusqu'à ce que le trublion passe à autre chose.

- Si t’as l’intention de passer la nuit là-haut avec elle, sois gentil. J’ai offert une passe à chacun de mes gars l’autre soir, et elle a encore un peu de mal à s’en remettre.

Évidemment avec les idiots, il fallait toujours s'attendre à ce que rien ne se passe comme prévu. La phrase de Dario fit bouillir le sang de l'Ascanien dans ses veines, une sensation qui fit que son visage se ferma complètement, une petite victoire pour son adversaire qui sembla agir en terrain conquis en lui adressant une infernale petite tape sur l'épaule. Bien sûr, une infime part rationnelle de Daren le faisait raisonner quant à la véracité des propos qu'il entendait. Si Dario était bien ce qu'il pensait, c'était presque impensable qu'il débourse de l'argent pour que des gens moins bien que lui ne puissent toucher ne serait-ce qu'à la vitrine dans laquelle il avait déposé son papillon sans ailes.

Malgré ça, et dans la tête du loup, le rat était déjà logé au milieu de ses crocs, et il servait désormais un bien plus grand dessein.

Lorsque Daren se redressa, surplombant quelque peu un Dario très sûr de lui, il fut assez clair que quelque chose allait se passer, quelque chose que l'un attendait patiemment, un sourire carnassier sur les lèvres. D'un geste vif, Daren tira son chapeau de la main de Dario qui, pris de court, manqua de surréagir trop vite à ce qu'il croyait être une agression. Son rictus s'effaça l'espace de quelques secondes tandis que l'Ascanien époussetait son couvre-chef dans le simple but de provoquer son interlocuteur. Les yeux dans les yeux, les deux hommes se jaugèrent quelques secondes de plus, l'un toujours certain que l'autre allait frapper, l'autre toujours hésitant quant à accéder à sa requête. Finalement, l'Ascanien fit quelques pas en avant, jusqu'à se retrouver sur la droit de Dario, à moins d'un mètre de lui.

- Je comprends tu sais...ça doit pas être facile...

L'assurance de l'Ascanien était entière, comme en témoignait son regard semblable à celui d'un prédateur. Interloqué, mais toujours sûr qu'il gagnerai cette confrontation, Dario bomba le torse discrètement pour prendre un peu de hauteur, ses petit yeux de fouines détaillant le loup avec dédain.

- Tu m'étonnes, ils étaient nombreux ce soir là en plus et puis ell...
- Ah non ! Je ne parlais pas de ça, détrompe toi ! Tes hommes et toi avez le droit de vivre, tu dois être un vrai meneur si tu offres à ton groupe les faveurs de ta favorite.

Cette phrase brûla la langue de Daren, tant il ne pouvait tolérer de cautionner les dires de Dario, même ironiquement et de manière détournée, mais il se retint d'en manifester les désagréments. Dario ne comprit pas tout de suite la première allusion, décidément, il en fallait beaucoup pour que le cerveau d’un idiot comme lui se mette à fonctionner correctement. Daren reprit avant même que le trublion ne puisse répondre et être hors sujet.

- Ce qui n'est pas facile, dans ta situation, c'est qu'il faut plusieurs mecs à la suite pour compenser ton manque de dextérité au lit. Je trouve ça très honorable que tu assume pleinement tes lacunes sexuelles au point de laisser tes hommes redorer ton blason, pour le plaisir d'une dame en plus, quel dévot tu fais.

La visage de Dario devint écarlate en si peu de temps que Daren sut qu'il était allé beaucoup trop loin pour que cela se passe dans le calme et la discipline. Fort de ce constat, il dut une nouvelle fois se contenir, non pas d'exploser toute sa colère, mais de jubiler face à l'attitude du trublion dont les yeux affichaient désormais uniquement de la haine. Comme s'il ne pouvait en être autrement, Dario recouvra la distance qui le séparait de Daren et l'attrapa au col avec violence. Déjà prêt à réagir depuis longtemps, Daren se contenta d'assurer ses appui, profitant de leur différence de gabarit à son avantage. L'espace d'un instant, le limier redevient roquet, sentant la différence de force entre lui et son opposant. La colère et la confiance en sa position sociale le galvanisa la seconde d'après, et il redoubla d'effort dans sa prise avant de prendre la parole.

- Espèce de fils de p...
- Il suffit, Dario.

Une main sur l'épaule du trublion s'était posée en même temps que s'était fait entendre la voix du nouveau venu. Droit comme un I, la main fermement ancrée sur l'épaule de son sous-fifre, l'homme balafré était debout, apparut dans l'angle mort de la confrontation pour venir interrompre un acte regrettable qui aurait probablement porté préjudice à l'agresseur. La tension redescendit si vite que même Daren fut surpris de sentir la poigne sur son col se relâcher dans un délai aussi bref après les mots du nouveau venu. Il ne l'avait pas vu arriver, mais il était au moins sûr que l'homme n'avait pas bougé avant de sentir que son homme de main allait passer à l'action, témoignant d’un grand sens du discernement. Tournant la tête vers son supérieur, Dario ne remarqua pas non plus que les yeux de Daren était devenu bien moins provocateurs, ni que son visage s'était complètement changé pour laisser apparaître une crainte évidente.

- Tu connais les règles en vigueur, pourquoi faut-il toujours que tu te montre belliqueux.

L'homme avait une voix monocorde, mais une certaine élégance dans son élocution laissait planer sur lui une étrange aura contradictoire, aussi menaçante qu'apaisante. Daren regarda le nouveau venu mais su que Dario s'apprêtait à contester sa culpabilité. Ainsi, il laissa le loisir au chef de meute de rabattre le caquet au chiot colérique.

- Mais Vex ! C'est lui qui m'a provoqu...
- Allons allons, je te connais, tu as le sang chaud et j'aimerais que, pour une fois, je n'ai pas à te reprendre.

"Vex"

Difficile de ne pas sourire en voyant se dérouler une scène que l'on venait d'imaginer avec jubilation dans sa tête, pourtant Daren resta de marbre, bientôt, ce sera à lui de parler. La colère de Dario mourut en même temps que sa voix s'était éraillée. Sous le regard inquisiteur de l'homme balafré, le trublion n'en menait pas large, une attitude que l'Ascanien se grava en tête, comme une information de plus à retenir. Comme prévu, l'homme tourna la tête en direction de Daren, plongeant son regard dans celui de son futur interlocuteur.

- Pardonnez la rudesse de mon ami voulez-vous, il n'est pas bien éduqué aux convenances et se montre souvent trop sanguin.

Daren ne soutint volontairement pas pleinement le regard de l'homme qui lui parlait, pour le bien de la suite de son travail, il ne pouvait y avoir deux loups en face à face. Ajustant son chapeau en râlant dans sa barbe, Daren fit craquer sa nuque dans un sens comme pour se décrisper de l'agression qu'il venait de subir.

- Encore un peu et il déchirait mon manteau...C'est un forcené. Répondit Daren d'une voix calme en profitant d'une petite pique qui restera sans conséquences.
- Tenez, prenez ces pièces, offrez-vous un verre et offrez-en un à qui vous voulez, même à cette fille si vous le souhaitez. Encore désolé monsieur...

L'homme désigna d'un signe de tête la danseuse qui se situait non loin et qui observait probablement la scène. Daren n'aurait pu le dire, car pas une seule fois son regard ne se tourna vers elle. Tout ce qu'il pouvait dire ou faire ici revenait à prendre la décision d'équilibrer le contrepoids d'une perche lorsque l'on marchait en funambule au-dessus d'une falaise. Il ne put malheureusement pas s'octroyer de regarder le visage de Dario devenir blême, bien qu'il le devinait aisément. Daren prit les pièces doucement et adressa un sourire poli à son prétendu sauveur.

- Thancred. Je vous remercie pour votre prévenance, mais votre ami semble avoir déjà payé pour s'offrir sa compagnie, et je suis du genre à respecter les règles. Qui plus est, je pense qu'il se méprend sur l'affection que je lui porte, alors autant dissiper le malaise. En vous souhaitant une agréable soirée messieurs.

D'un mouvement de chapeau bref, Daren accentua sa salutation, non sans un regard pour Dario qui semblait presque se sentir idiot et confus quant aux propos de l'Ascanien. Il s'éloigna finalement des deux hommes, se dirigeant vers le fond de la pièce, non sans passer juste à côté de Lyhn. Lorsqu'il fut bien dos à eux, le loup adressa un regard presque coupable à la jeune femme, un regard qui semblait lui dire à quel point il ne pensais pas ce qu'il disait lorsqu'il venait de sous entendre qu'il n'avait pas d'affection pour elle. Un regard qu'il espérait surtout qu'elle comprenne. Il continua son chemin en direction du fond de la salle, prenant à la main sa pipe tout en avançant.

S'il s'était dirigé dans ce sens, c'était aussi parce qu'il avait remarqué Dhorn, l'homme chargé de veiller au bon déroulement des soirées, qui s'était mis en quête de savoir ce qui venait de se passer. Les deux hommes ne se connaissaient pas plus que ça, mais le garde savait malgré tout que Daren n'était pas du genre à jouer les bagarreurs, à moins que ça soit pour aider une demoiselle en détresse... Daren lui posa amicalement une main sur l'épaule avant même qu'il n'ait pu dire un mot.

- Tout s'est arrangé, ce brave gars m'offre même un verre pour excuser son pote.
- T'es sur ? C'est interdit de se battre ici tu le sais.
- Allons, regarde, même pas un faux pli sur mon manteau. Je peux te demander quelque chose plutôt ?
- Dis toujours.

Daren glissa les pièces qu'il venait de récupérer dans la main de Dhorn et lui adressa un sourire visant à dissiper tout doute que pourrait avoir son interlocuteur quant au fait que les choses s'étaient arrangées. Puis, dans un second temps, il sortit quelques pièces de plus et répéta l'action, conscient qu'il était hors de vue de ses nouveaux amis.

- Donne ça comme une avance à Madame Vivianne et dit lui que j'aimerais que Lyhn ne soit pas libre pour cette nuit, une fois que Dario sera parti, et si possible, j'aimerais que personne ne sache que ça vient de moi d'accord ? Histoire qu'il ne devienne pas trop possessif et que tu sois forcé de jeter un bon payeur dehors...

Dhorn ne semblait écouter que ce qui l'intéressait, à savoir que tout se passe bien et que les gens payent quand il s'agissait de payer. Ainsi, il put se satisfaire du discours de l'Ascanien pour finalement tempérer ses ardeurs, fourrer les pièces dans sa poche et sourire à son tour à Daren.

- T'as du bon sens, c'est bien, mais je suis pas coursier, c'est la dernière fois que je fais une commission pour toi.

Daren lui fit un clin d'œil avant de le laisser passer. Il alla à son tour s'installer sur une table vide, dans un coin du bar, comme il en avait l'habitude initialement. Ce soir, la loup devait se tenir éloigné de l'agneau, au moins le temps de s'assurer qu'il ne lui en coûtera pas sa tête.
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