Danse avec les loups [PV Raina]

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Une belle soirée d’été pour se rendre à la taverne, comme presque tous les soirs d’ailleurs. Il aurait pu faire froid, pleuvoir, neiger ou faire très chaud comme ce soir, le résultat aurait été le même. Ce cher Eivor aurait vidé quelques bières, peut-être serait-il tombé ou simplement vacillé sur le chemin le menant jusqu’à chez lui. C’était bien ce qu’il comptait faire ce soir. Il avait durement travaillé, la chaleur était harassante, il fallait au moins toute une soirée de beuverie pour tenter de rafraîchir ce gosier tant mis à l’épreuve durant la journée.
Vêtu d’un pantalon sombre et d’une chemise taupe en lin, resserrée à la taille par une large ceinture de cuir où était rangé son couteau de chasse, l’utgardien comptait bien passer une bonne soirée.

« Eivor, tu t’en es occupé de la bestiole ? »
« Si tu parles de ta femme oui, et même plutôt deux fois qu’une. »
« Rho t’es con ! »
« Ou bien tu parles de ton aînée, celle avec les dents écartées ? Ben elle n’a pas que les dents, je peux te l’assurer. »

Des rires gras résonnaient dans la pièce, malgré le raffut qui régnait. Les vannes d’Eivor, c’était toujours un grand moment de franche rigolade. Surtout lorsqu’il s’amusait à tacler le gros Gunter. Ce dernier était certes gros, mais aussi petit qu’un âne. Et tout aussi bête, bête à manger du foin. Oui, un âne donc.
Ils avaient ingurgités en ce début de soirée, une importante quantité de bière, agrémentés de quelques petits hydromels. Ils formaient une joyeuse bande, riant fort, parlant fort et ne se faisant pas prier pour lancer quelques mots doux aux courbes généreuses qui passaient non loin d’eux. D’ailleurs, en parlant de jolies courbes, Eivor crut apercevoir certaines ne lui étant pas étrangères. Non pas qu’il les ait déjà touchées, mais souvent observées. Un joli minois, de longs cheveux noirs, il ne se trompait pas, il s’agissait bien de… Bon, il avait oublié son prénom, vu que durant leur tendre enfance, il la gratifiait de petits surnoms aimables et affectueux. Comme la maudite, le monstre, etc. Mais, ce n’était pas de sa faute, il était jeune… et con. Et elle, elle avait malencontreusement fait la connaissance d’un de ses morts qui se relèvent. Elle avait même une cicatrice pour illustrer cet évènement. Et ce petit malin d’Eivor s’était fait une joie de le lui rappeler, jour après jour. Les enfants pouvaient être si méchants entre eux… Puis, parce que tout n’évoluait pas toujours comme il le fallait, les choses ne changeaient pas forcément en grandissant. En la voyant, fière, dans son uniforme de la garde, il eut une soudaine envie de l’alpaguer de la pire manière qu’il soit.

« Petite chatte ! »

S’écria-t-il, en faisant de grands signes vers elle. Difficile de le louper, avec son mètre quatre-vingt cinq, sa grosse voix et ses gestes hasardeux d’homme éméché.
Ils étaient trois, autour d’une petite table ronde en bois, une choppe d’hydromel devant chaque homme. Le visage d’Eivor s’étirait en un sourire moqueur, le regard, certes moins vif avec tout l’alcool ingurgité, semblait pourtant défier la demoiselle. Il avait toujours pris un malin plaisir à la provoquer, saurait-elle lui répondre…

Ce qu'il pouvait faire chaud, dans cet uniforme...

Il fallait dire que les journées battaient des records de température, ces derniers temps, et que les nuits peinaient bien à faire redescendre la chaleur accumulée. Le ciel était découvert, et s'il offrait une sublime voûte étoilée, il n'aidait pas les habitants de Claircombe à se rafraîchir un tant soit peu. L'été s'annonçait beau et chaud, de son début jusqu'à sa fin. Certains s'en réjouissaient, trouvant le réconfort dans les rayons bienfaiteurs du soleil qui éloignaient les tracas de l'âme. Mais d'autres n'y trouvaient qu'une impression étouffante, se réfugiant à l'ombre ou dans la fraîcheur relatives des habitations. C'était notamment le cas des Utgardiens, qui n'étaient génétiquement pas conçus pour supporter des températures telles que celles-ci. Leurs ancêtres avaient été des nordiques, bravant les froids des plus mordants et mortels pour quiconque n'en avait pas été habitué. Ils se retrouvaient donc tout particulièrement affectés par ces piques de chaleur insoutenables.

Raina n'y faisait pas exception.
C'était exténuée et cuite qu'elle avait regagné la caserne en fin de journée, toute empressée de se défaire de son armure officielle de garde pour gagner des vêtements moins lourds et moins chauds. Elle n'avait aucun plan, ce soir là. Terrassée par la chaleur, elle ambitionnait de se coucher sans réclamer son reste. Pour vous dire : même la simple idée de s'entraîner l'épuisait.
Mais c'était sans compter sur son supérieur, qui tout soudain, fit irruption dans le dortoir alors qu'elle venait de finir de se changer.

- Visenrov, tu repars.
- Pardon ? Je viens de finir ma garde.

L'homme ne s'embarrassait pas de formalités. Qu'elle soit une femme ne semblait pas lui donner davantage quelconque, pas même qu'il ne frappa à la porte avant de pénétrer la pièce. L'Utgardienne n'était pas d'une grande pudeur, heureusement, et d'ailleurs ne semblait elle même pas se rappeler de la différence notable homme/femme entre eux. Guerrière avant tout, la brune en oubliait ses formes féminines, et son supérieur, lui aussi, ne semblait ne pas en faire grande importance. Il fallait dire qu'elle ne s'était pas fait que des amis, parmi les membres de l'armée. Même si elle s'avérait être une milicienne disciplinée, elle s'était déjà forgée une réputation de tête brûlée au mauvais caractère. L'absence perpétuelle de sourire et le regard assassin, sans doute...
Quoi qu'il en soit, il semblait se fiche éperdument de son état d'âme, et d'une voix plus autoritaire, il reprit :

- Machin est malade, il pourra pas assuré son tour.
- C'est qui, machin ?
- Qu'est-ce que ça peut te foutre ? Tu te changes et tu repars, pour le remplacer.

Raina eu un soupire exaspéré. Le regard dure de son supérieur, qui la dépassait de deux têtes au moins, la dissuada de se borner davantage. Elle avait déjà bien du mal à gagner le respect de ses pairs dans l'armée, mieux valait donc ne pas se mettre le chef à dos...

- Et je vais où, au juste ?
- Quartier Nord, hutte de Hurlsk. Tu devrais pas être déstabilisée, avec les membres de ton clan !
- Super... Je suis obligée de remettre mon armure complète?
- Tu fais ce que tu veux, tant que tu y es de manière officielle. T'avise pas de picoler ou de faire des conneries. On sait tous que ça finit toujours mal, avec vous autres, dès que vous vous entassez avec des hydromels !

Eh une petite remarque raciste pour la route, une !
Raina ne se gêna pas d'afficher son mécontentement à l'idée d'enchaîner sa journée sur une nuit de garde. Délaissant son armure, décidément trop lourde et trop chaude, elle sauta dans une tenue qui, bien qu'officielle, lui permettrait de suffoquer un peu moins. C'était un choix de confort, mais elle viendrait peut être à le regretter... Parce que même si son supérieur était un con fini, avec ses remarques chauvines, il n'en restait pas moins qu'il avait raison... Les Utgardiens avaient de sérieux penchants pour la boisson... Et un amour bien connu pour la bagarre. Mettez une poignée d'entre eux ensemble dans la même pièce avec quelques cruchons d'alcool fort, et le résultat était garantit...
Et la hutte de Hurlsk, c'était bien le dernier endroit où se rendre si on nourrissait l'espoir de passer une soirée paisible.

* * *

Raina se tenait, bras croisés, à l'entrée de la hutte. Boudeuse, son visage dégageait une expression froide et fière assez évidente. Il faisait une chaleur étouffante, et aux odeurs enivrantes d'alcool et de plats mijotées se mêlaient celle désagréable de transpiration. La fête battait son plein et une cacophonie assourdissante de rires, de grosses voix et de railleries grondait. Ici et là, on teintait ses choppes, on tapait du poing sur la table, on se bousculait dans une franche camaraderie.
Malgré l'agitation, il n'y avait encore rien de très notable à signaler. Mais c'était normal, il était encore tôt... Il faudrait attendre encore un peu pour que les esprits s'échauffent, les langues se délient, et les meubles et corps valsent en tout sens.

Raina, par instant, jouait avec l'une des tresses qui retenaient ses cheveux sombres. Rares étaient les occasions où on pouvait les voir détachés. Soldat, elle ne prêtait aucune importance à se pomponner et paraître charmante, gracieuse ou aimable. C'était d'ailleurs aux antipodes de ce qu'elle était. L'Utgardienne était réputée pour être une véritable mûrie, qui ne perdait pas une occasion pour envoyer paître tout ce beau petit monde, et dans le cas où une bonne réplique acerbe et un regard féroce n'y suffisaient pas, casser quelques dents n'était pas non plus un problème pour elle.
Petite, menue, mais teigneuse, la demoiselle.

D'ailleurs, elle se faisait violence. Beaucoup la dévisageaient d'un air curieux. La garde de Claircombe n'était pas forcément des plus appréciée dans ces lieux, mais en plus de cela, il y avait une dimension curieuse dans le cas présent. Certains n'aimaient pas l'idée qu'un membre du clan se soit enrôlés dans la milice de la ville, préférant garder leurs guerriers pour leur propre sang. D'autres le toléraient, sans pour autant apprécié le fait que ces membres viennent surveiller les leurs. Et là, en plus, il s'agissait d'une garde peu banale qui faisait office de chaperon. Petite en taille, fine bien que musclée, une femme et jeune de surcroît, Raina n'était pas forcément la représentante de loi la plus crédible qu'il soit. Et ce type de pensée qu'elle devinait chez certains avaient un don tout particulier pour l'agacer.

En parlant d'agacement, elle était loin de se douter que la soirée n'allait pas aller pour être des plus agréables pour elle et qu'elle n'aurait pas plus don d'épargner ses nerfs.

Une voix grave, sans l'ombre d'un doute bien imbibée d'alcool, s'éleva au dessus du brouhaha de la foule. Un « Petite chatte », lancé sur un ton enjoué bien que provoquant, eut mérite de faire tourner la majeure partie des têtes en direction de son expéditeur.
Raina ne fit pas exception, interpellée par cette singulière affirmation. Elle releva les yeux, sourcils froncés, à la recherche de l'auteur de ce quolibet. Et elle ne mit pas longtemps à le dénicher du regard, tant celui-ci s'appliquait à signaler sa présence par de grands signes de mains. Et quelle ne fut pas sa surprise en comprenant presque immédiatement que cette salutation des plus impolies n'avait pour autre destinataire que elle...

L'Utgardienne se raidit, piquée vif dans son orgueil. D'une part, elle ne tolérait pour rien au monde qu'on s'adresse à elle de la sorte, en privé comme en publique. Cette apostrophe avait une dimension très particulière qui avait dont de blessée la jeune femme dans son honneur. Mais en plus de ça, dans le cas présent, elle se trouvait en tenue officielle, en position de surveillance et représentant ni plus ni moins que la justice de la ville. C'était une provocation évidente, la dévalorisant aux yeux de tout les spectateurs de la scène, et la ramenant à une simple condition de petit bout de femme chétif tout juste bon à être reluqué. Autant vous dire que le niveau de colère chez Raina monta d'un cran ou deux en l'espace d'une fraction de seconde.

Mais comme si ça ne suffisait pas, l’énergumène qui l'interpellait avait un visage qui ne lui semblait pas inconnu. Cela faisait un bon moment qu'elle n'avait pas eu l'occasion de le croiser, et si elle ne le remit pas immédiatement, son sentiment était qu'elle ne s'en était pas plus mal porteé de ne plus avoir à faire avec lui.
Des longs cheveux bruns et des yeux sombres et perçants, une corpulence de bon Utgardien bien bâtie et fait pour la guerre, une face mangée par une barbe fournie bien que courte... Aux premiers abords, on eut pu dire que le nordique était loin d'être désagréable à l’œil. Pourtant, il n'inspirait que du dégoût et de la haine à la jeune femme qui, petit à petit, voyait remonter de sa mémoire des souvenirs des plus noirs.

Sa mère... Sa cicatrice... Et cet abruti qui la harcelait et lui donnait des surnoms des plus cruels quant à son histoire. Les nombreuses fois où elle avait eu envie de le tuer. Où elle s'était jetée sauvagement sur lui, résolue à le faire. Où sans mal, il s'en était tiré avec tout au plus quelques bleus et égratignures. Le nombre de fois où il avait été l'une de ses principales motivations pour s'entraîner au combat, devenir la plus grande des combattantes, ne serait ce que pour avoir le plaisir de l'étriper de ses mains.

… Eivor …

Si tôt, sa tête tenta de la raisonner : Non Raina, ne répond pas à cette provocation... C'est qu'un abruti, il ne mérite même pas que tu remarques son existence... Tu es en tenue officielle, ne te rabaisse pas à son niveau...
Mais alors qu'elle pensait à tout cela, son corps, lui, avait déjà prit la direction de la table où se trouvait le bourreau de son enfance. Son sang ne faisait qu'un tour, et ce n'était plus de l'agacement qui était son moteur, mais bien une rage qu'elle peinait à contenir. Ses yeux le fusillaient littéralement, tout du long, ses mains tremblaient tant l'adrénaline en elle était à son comble. Sa mâchoire était serrée et sa démarche, lente, méprisante, furieuse, eut don de mettre mal à l'aise quelques clients croisant son passage, qui s'écartèrent sans dire mot, pour lui laisser de la place, sans pour autant perdre une miette de l'échange qui s'apprêtait à avoir lieu.

Se plantant devant la table de ces messieurs où trônait Eivor tel le souverain de l'assemblé, elle n'accorda pas même un regard à ses compagnons de beuverie, fixant férocement son interlocuteur, une expression de mépris et de dégoût déformant les traits de son visage. Elle était droite, fière, et bien qu'elle ne fut pas très grande, il était évident qu'elle le prenait de haut.

- C'est toujours un réel déplaisir de croiser ta sale gueule, Eivor.

Le ton impétueux tranchait avec le timbre doucet de sa voix. Nul doute pour quiconque en était témoin qu'il y avait des étincelles entre ces deux là... Et pas celles du genre qui mènent à l'autel, plutôt celles capables de provoquer des incendies de hautes envergures. Raina poursuivit, sans même cligner des yeux.

- J'avais espéré que tu sois mort, mais te voilà ! Encore plus abruti que dans mon souvenir !

Raina posa les mains sur la table, se voulant menaçante. Elle ne quittait toujours pas du regard son interlocuteur, tâchant de lui faire comprendre tout les bons sentiments qu'elle avait à son égard. Sa voix tremblait d'une colère qu'elle peinait vraiment à contenir. Mieux valait pour l'Utgardien qu'il se calme, sans quoi, elle risquait de vriller en un quart de seconde, ça, elle le sentait et le savait très bien.
Autour d'eux, beaucoup s'étaient désintéressé de leur échange et étaient retournés à leur propres affaires. Les quelques rares curieux tendaient l'oreille et ne jetaient que quelques regards furtifs en leur direction. Quant aux camarades d'Eivor, ils tournaient et retournaient la tête en direction des deux protagonistes, sans piper mot. Difficile de savoir s'ils s'amusaient de la situation ou s'ils préféraient rester en dehors de leur histoire.
La voix de Raina se fit plus grave, plus menaçante, plus rude que jamais.

- Ecoute moi bien, crétin. Je te conseille vivement de la fermer et de filer droit, parce qu'à la première occasion que tu me donneras, c'est pas dans une cellule que je vais te conduire, mais directement dans une fausse. Compris ?

Un feu vengeur semblait brûler dans ses yeux. Elle resta un moment comme ça, penchée dans sa direction, l'assassinant du regard et grinçant des dents. Puis, sans prévenir, elle donna un coup dans sa choppe et le restant de son contenu se deversa et sur la table, et sur les genoux d'Eivor. Elle se redressa, dans le même temps.

- La petite chatte, elle t'emmerde, gros con.

La brune tourna les talons, prête à regagner sa place initiale, le cœur battant à tout rompre sous l'effet de la colère et de l'adrénaline.

Quand je vous disais que chez les Utgardiens, les soirées beuveries se passaient rarement dans le calme...