Le temps s'était couvert, mais pas le chasseur solitaire.
D'épais nuages sombres s’amoncelaient, recouvrant le bleu du ciel et la chaleur de l'astre solaire. Un vent doux parcourait les plaines, apportant avec lui un frisson glacé. Les landes alentours s'étendaient, infinies à l'est, grimpant des vallons désolés seulement pourvus de rochers épars et d'arbres dégarnis. À l'ouest, l'on devinait à une journée de marche soutenue les faubourgs de Claircombe. D'ici la ville ne représentait rien qu'une multitude de points gris et marrons se détachant difficilement du ciel, ou des reliefs environnants. Une rivière serpentait vers le nord, avant de se perdre dans un petit bois touffu.
Les premières neiges n'avaient pas tenu, et les herbes s'élevaient chichement au dessus d'un sol boueux qui collait aux bottes.

Le froid piquant du vent souffla aux tempes rasées de l'imposant vagabond. Son murmure n'effaçait pas la voix glacée qui chuchotait à l'oreille droite de Baldhramn.

-" Pourquoi aller là-bas? Retourne sur tes pas, andouille. Il n'y arrivera pas. C'est dangereux. Tu vas mourir. "

Corbeau, tu ignorais ce ton parfois irrité, parfois moqueur.
Tu entendais bien te faire payer pour être venu à bout de la meute de loup qui sévissait dans les parages. Ceux-ci semblaient avoir un gabarit inhabituel. À l'en croire les éleveurs de bétail locaux, et à observer les traces au sol, ces bêtes là étaient bien plus grandes que leurs homologues. Prédateurs biens nourris, ou magie à l’œuvre ? Tu n'en savais rien, cependant tu vibrais d'en savoir d'avantage. Le frisson du froid laissait place à celui de la chasse. La piste était claire, et tu te doutais que sous le couvert des arbres au nord, se livrerait dans la journée un combat enfiévré.

-" Quel idiot ! Qui crois tu impressionner en agissant de la sorte ? "
-" Chut, laisse le se concentrer. On y est presque, allez."

Lui avait la voix plus chaleureuse. Dans le ton, on devinait la candeur d'un jeune garçon. Lui parlait de plus loin, mais sa voix portait comme le vent qui court dans la lande et qui apporte les sons depuis de grandes distances. Le chasseur pouvait l'entendre sans réellement deviner où se cachait l'enfant.
Qu'importe, il était toujours là, de toutes façons.

Le colosse progressait vers la forêt sans précipitation. Alors qu'il avançait, malgré la température peu clémente, il s'arrêtait régulièrement et ramassait dans sa large paume de la terre humide dont il se couvrait la veste de cuir, les bras, les joues, et les bracelets de force. L'odorat des bêtes qu'il pourchassait était très développée, et avec le vent du jour, il pouvait être repéré à plusieurs lieues. Ne les ayant pas encore localisé précisément, il ne désirait pas les informer trop tôt de sa présence aussi il dissimulait son odeur en se frictionnant avec de la terre et de l'herbe locale.
Cela lui donnait une sensation glacée pour l'heure, mais la boue séchant sur sa peau offrait une protection satisfaisante contre le froid ambiant.

En arrivant à la lisière du petit bois, l'homme se saisit de l'arc géant qu'il maniait à la chasse. Ne se saisissant pas encore d'un trait, il s'aventura doucement entre les premiers troncs, les sens aux aguets. Il avait conscience d'entrer sur le territoire d'un ennemi demeurant invisible. Tout bruit dont il pourrait être l'auteur serait inhabituel et éveillerait les soupçons de ses proies. Or s'il voulait rester en vie à l'issu de ce combat, il devait impérativement avoir l'initiative. Engager le combat sur un terrain qui lui serait favorable.

- " Ici tu devrais avoir un point de vu intéressant."

Décidant de se tapir en embuscade et d'observer pour un temps, le chasseur rampa sous un buisson d'épineux, dérangeant au passage bon nombre d'araignées, cloportes et fourmis. S'adossant entre deux racines d'un arbre rabougri, en partie caché par le buisson, l'homme acheva de se couvrir de boue et de feuilles mortes puis se figea, l'arc dans une main, sur sa jambe, l'autre main au sol, recouvrant une flèche à la tête plongée dans la boue, pour ne refléter aucune lumière.
Il s'attendait à devoir patienter ainsi quelque heures. Seul le nuage clair de sa respiration profonde, se dissipant dans le froid ambiant révélait la présence de l'homme.
Luttant contre le froid et la lassitude de l'attente infructueuse, il se concentrait sur le rythme de son souffle. Fermant les yeux, il tentait de déceler dans les craquements et bruissements alentour le signe de la présence de loups.

Ainsi le plus clair de l'après midi défila, sans que rien d'intéressant ne vienne attirer l'attention de l'homme embusqué.
Puis tout à coup, des pas légers agitèrent le sol jonché de feuilles craquantes. À une vingtaine de pas, une meute de sept têtes environs s'avança. Les bêtes progressaient nonchalamment en se tournant régulièrement dans une direction. Badhramn ne comprenait pas pourquoi ils semblaient tous tant intéressés par ce qu'il y avait derrière, mais une chose était sûr. Cela délogeait les loups qui s'en allaient un peu plus loin.

-" Regarde ! Ils sont là. Il y en a huit. Pas sept. Ouvre tes yeux, imbécile. "

Le chasseur ne bougea pas. Il avait repéré ses proies. La meute prenait la direction du sud est, avançant doucement avant de s'effacer entre les arbres et les buissons. Ils iraient chasser alors que la nuit tomberait. Il avait encore deux ou trois heures devant lui.

C'est alors que quelque chose de tout à fait inattendu se produisit.
Une silhouette souple et furtive se déplaça entre les troncs, sans un son. Baldhramn fronça les sourcils. Il reconnaissait cette façon de se mouvoir.
Beaucoup plus loin il perçu alors la rumeur caractéristique de nomades déplaçant leur camp. En amont, des éclaireurs allaient reconnaitre le terrain.

Lui même étant un banni de la tribu Vaar Orée, il n'avait pas intérêt à s'approcher d'eux. Cependant, ils allaient faire échouer sa chasse. Et il voulait savoir à qui il avait affaire. Peut-être devrait il même quitter les lieux immédiatement.

Alors qu'une autre silhouette solitaire passait non loin, aussi vive que le vent, et silencieuse comme la mort, Baldramn encocha son trait démesuré dans son arc et se racla la gorge pour signaler sa présence à l'inconnu qui l'avait dépassé.

-" Hep l''ami. T'es qui ? Quelle tribu ? "
Ton bourru. Voix calme.

S'il n'élevait pas la voix et que l'autre ne tentait rien de stupide, il avait une chance de se renseigner sans désagrément. Voir être fixé et prendre une décision rapidement.